Réalisé par Julien Dara et Yohan Manca en 2012, ce court-métrage nous introduit dans l’intimité de Pascale, une lilloise d’une cinquantaine d’années, perdue dans Paris après s’être fait voler son sac. Dans le huis clos d’une cabine téléphonique, épuisée et à bout de nerfs, elle tente de joindre sa famille pour de l’aide. Au même instant, elle découvre à ses pieds un sac de sport rempli d’argent. Entre angoisse et euphorie, Pascale devra faire un choix.
Comment t’est venue l’idée de ce film ?
Dans les années 90, Lisa, une amie de mon père, new-yorkaise de 35 ans, est rentrée dans une cabine téléphonique et a trouvé à ses pieds une mallette remplie d’argent. Elle est repartie sans. J’avais noté cette anecdote dans un carnet. J’ai appelé mon ami Yohan pour qu’on fasse le film ensemble. On s’est tout de suite mis à écrire autour d’un coca.
C’est en essayant d’imaginer le parcours intérieur de cette femme, ce qui avait pu l’amener à refuser tout ce que cet argent aurait pu changer dans sa vie que nous avons commencé à construire notre histoire.
C’est effectivement un “pitch” très alléchant, mais que voulais-tu raconter avec ?
Cette histoire présentait, à nos yeux, deux avantages. Une situation aussi simple à comprendre et aussi forte permet instantanément au spectateur de se mettre à la place du personnage.
Dans un premier niveau de lecture, il peut se poser des questions en termes pratiques : est-ce que je fuirais tout de suite de la cabine, est ce que je prendrais le temps de compter les billets, etc. ? Le spectateur se pose aussi bien évidemment la question : est ce que je prendrais l’argent ?
Le deuxième niveau de lecture vient donc de là. Cette porte d’entrée nous a permis de parler de quelque chose de plus important. Dans notre société, surtout en période de crise, la façon dont nous gérons notre rapport à l’argent est un des éléments qui nous définit le plus. Grâce au talent de Corinne Masiero, nous avons pu nous permettre d’aller explorer beaucoup d’émotions contradictoires qui bouleversent cette femme.
C’est aussi pour cette raison que nous avons tenu à prendre du temps dans la première partie, avant la découverte du sac. C’est parce que nous connaissons cette femme, que nous savons d’où elle vient que nous pouvons comprendre les étapes de son débat intérieur et son choix final.
[caption id="attachment_8231" align="aligncenter" width="500"] Yohan Manca pendant le tournage © William Oger[/caption]Peux-tu nous parler un peu plus de tes choix de mise en scène ?
Pour accentuer la solitude de cette femme, nous avons décidé de situer l’action une nuit à Paris où rien ne lui est familier. La cabine que nous avons choisie est plongée dans l’obscurité, entourée de deux arbres et d’un feu tricolore. L’installation lumière était très simple : un seul néon blanc au plafonnier de la cabine servait à isoler l’actrice.
Le film commence en caméra épaule et suit Pascale tout au long de l’intrigue, dans le but de l’isoler davantage de cet environnement étranger. On est proche de son visage, de ses expressions.
L’ambiance visuelle et sonore de la première partie durant laquelle Pascale est confrontée au vol de son sac à main et à son ex-mari au téléphone, se rapproche d’un style documentaire social. Cette première partie, beaucoup plus réaliste contraste légèrement avec la forme de la seconde.
A partir du moment où Pascale découvre le sac dans la cabine, les sons et les mouvements de caméra se rapprochent des codes du thriller psychologique. C’est seulement à la fin du film que nous découvrons le lieu, en plan large et fixe.
Corine Masiero est une superbe actrice, comment avez-vous travaillé avec elle ?
Dans un court-métrage, installer un personnage doit se faire de manière très efficace. Ici on avait un personnage de mère, et en même temps, une femme divorcée qui finalement se retrouve seule face à un choix. Avec Corinne Masiero, c’est très facile. Au premier coup de téléphone, elle sait tout de suite qu’elle est la mère. Ensuite, elle sait qu’elle passe à un autre personnage plus en colère avec son ex-mari. A la découverte du sac, elle joue encore un autre personnage, euphorique lui. C’est très agréable de découvrir plusieurs facettes en très peu de temps. Grâce à l’extérieur, qui n’est pas celui de la cabine mais celui créé par le téléphone, on la connaît intimement ce qui nous permet tout de suite de comprendre qu’elle doit prendre ce sac, qu’elle le mérite.
On s’attend à voir le sac davantage, tout comme les billets …
C’est vraiment important de peu voir l’argent. Moins tu le vois, plus tu le fantasmes. D’autre part, ce sont de faux billets. Si on les montre trop longtemps, on s’aperçoit que les liasses sont principalement constituées de papiers blancs.
Combien de temps le projet a-t-il mis pour aboutir ?
Il a été mené d’août à octobre. On a écrit en quatre jours. Le but de cette aventure était surtout de faire un film, de réunir une équipe et des acteurs avec qui nous avions envie de travailler. J’ai beaucoup aimé cette dynamique. Juste l’idée de faire un film. Il a été tourné en deux nuits, a été monté en une semaine, mixé en une journée. On était contents de le faire comme ça. Après c’est aussi un premier film donc on sent les erreurs, la naïveté, que j’adore.
Comment es-tu venu au cinéma ?
J’ai découvert le cinéma avec mes parents. On a grandi sans la télévision et en contrepartie, ils m’emmenaient très souvent au cinéma. J’allais voir les films qu’ils choisissaient : Almodovar, Gus Van Sant, Wenders, Cronenberg… tous les cinéastes que j’adore aujourd’hui. Dans un premier temps, le cinéma c’était d’abord génial, c’était juste génial. Cette idée de voir des histoires qui sont fausses et qui sont en même temps tellement vraies. J’adorais ce truc. Bien sur, c’est compliqué de savoir ce qu’on a à raconter, savoir quelle est notre place. Le moment où je me suis dit que je pouvais le faire, c’était après avoir vu un entretien filmé de Sydney Lumet. Un journaliste lui demandait pourquoi avoir fait du cinéma et il répondait en anglais : « because it was just a wonderful way to spend my life ». Et j’ai trouvé ça tellement rassurant qu’il n’y ait pas besoin d’aller systématiquement chercher d’autres raisons pour faire du cinéma.
[caption id="attachment_8232" align="aligncenter" width="500"] Julien Dara pendant le tournage, © William Oger[/caption]Penses-tu avoir déjà un style ?
Non (rire). Non. Je sais ce qui me touche. On a derrière nous cent ans de cinéma. On est très influencés et très influençables. J’adore le cinéma de Kitano, Altman, Malick, Zeitlin et Jeff Nichols. Je sens que ce cinéma-là me touche et alors je me sens proche dans la manière de filmer, dans l’esthétique, dans le son, l’utilisation de la musique. Il va maintenant falloir essayer de puiser dedans tout en essayant de proposer autre chose. J’ai envie d’essayer. Le cinéma est aussi un terrain de jeu. Je ne sais pas encore quel est mon style mais je sais quel est le style que j’aime.
Quel à été la vie du film jusqu’à aujourd’hui et quels sont tes projets à venir ?
Le film a été porté par Sabin Productions, une structure que nous avons montée avec un jeune producteur de la Femis, Simon Trouilloud. Il est allé dans beaucoup de festivals étrangers, à Sao Paulo, Kiev, Berne et Saint Petersburg. C’est amusant de voir que le thriller plait beaucoup a l’étranger alors que les festivals français recherchent des choses souvent plus expérimentales.
Pour ce qui est de la suite, je prépare un film plus long dans lequel je raconte un drame familial que j’ai vécu avec un ami. J’ai d’abord envie de le faire pour lui et j’espère qu’ainsi il touchera d’autres personnes. La relation d’un film au spectateur est vitale. Ça sera un exercice plus dur je pense.
Entretien réalisé par la rédaction