Au moment de remercier le public, il rappelle son nom. Une tournée internationale, plusieurs fois l’Olympia, plusieurs albums, mais il rappelle son nom. Comme une première fois, comme s’il sortait de nulle part.
« Je m’appelle Mark Daumail »
C’est vrai, le nom n’évoquera peut-être rien, celui d’un inconnu. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont déjà entendu Mark Daumail.
L’ex-moitié de Cocoon. L’ex-moitié d’un doux duo, carton pop-folk auvergnat qui a, en tout cas, séduit en deux albums des oreilles érudites et la plupart des radios françaises. L’ex-moitié de cet univers rafraîchissant, parfois apaisant ou saisissant, souvent troublant. Un beau projet qui a vécu.
Ce mardi 20 mai au Point Ephémère, Mark Daumail venait présenter son album solo Speed of Light. Le premier, seul. Pour la première fois après Cocoon, il se présente en tant que Mark Daumail. Un changement ambitieux, un virage dans une histoire jusqu’ici écrite à deux. Un projet individuel pour voir nouveau et changer de cases. Prendre des risques.
Lorsqu’il arrive sur cette petite scène du Point Ephémère, il apparaît presque réservé – une impression de courte durée : au contraire, dans une chaleur étouffante, il dissimule mal son euphorie, son excitation. Son sourire enthousiaste est communicatif, on participe à sa joyeuse « première fois », dans une ambiance presque bon enfant. Sont venus beaucoup d’amis, ceux qui l’ont aidé, l’ont soutenu, la maison de disque et puis quelques privilégiés. Un type hurle « T’es trop beau », il répond que sa femme le lui dit souvent. On rigole, on profite et il déroule. Il a toujours sa gueule d’ange, sa voix est toujours bien tendre (ou est-elle suave? mélancolique ? moelleuse ? On ne sait plus) et il continue de mettre tout le monde à l’aise : toujours simple, il sort après le concert pour parler, écouter les avis ; rien n’a changé, toujours un gendre idéal quoi.
Oui, des choses ont changé. Le folk mi-triste, mi-sucré de Cocoon a disparu. Lorsque, ce soir-là , Mark Daumail reprend On My Way, un petit classique de l’ancien duo (formé avec Morgane Imbeaud), il est presque impossible d’y retrouver la même chanson. Il déconstruit son univers, récupère l’ADN et puis remonte tout différemment, avec de nouveaux jouets. Même chose lorsque ses musiciens et lui reprennent Royals de Lorde. C’est un peu l’histoire de cet album, repartir à zéro, sans effacer la génétique qui définissait aussi en quelque sorte Cocoon : la pop. Mais elle est devenue plus entêtante, plus libre, moins romantique. Une belle destruction créatrice.
Sur Speed of Light, les rythmes se sont ainsi démultipliés, diversifiés. L’univers est devenu plus riche, se baladant sur une palette de sons large et diverse. Les influences et les mélanges s’entrecroisent : électronique, acoustique, rock, hip hop. Ce projet respire, nourri d’inspirations plus lointaines, plus osées. Les machines ont ouvert de nouveaux horizons là où Cocoon était plutôt resté dans un cadre mieux défini, une zone de confort. Et aujourd’hui ces synthés, ces compresseurs. Une métamorphose en particulier inspirée par Stephan Eicher dont Mark Daumail a produit le dernier album.
Cet album n’est pas parfait, mais il a du cran
Certains morceaux sont brillants de précision et d’efficacité, faits pour accrocher les mémoires (Mistaken, Tom Cruise). D’autres plus prometteurs, laissent entrevoir les destinations potentielles de routes que Mark Daumail vient juste d’emprunter (Remember, Viper). Plusieurs titres sont aussi plus remuants, plus tubesques (King, Monsters). Cet album n’est pas parfait, mais il a du cran, du caractère. Une pop réfléchie, bien sentie, esthétique. On ne regrette pas l’expérience, la surprise. Mark Daumail et ses popsongs inattendues, on valide.
Ce projet individuel est parti de quoi exactement ? A écouter les créations, le projet a l’air toujours très intime, personnel, avec un fort virage, en partie électronique : vous l’aviez imaginé ainsi ?
Ce projet est en effet très intime, peut-être même plus que Cocoon au niveau des textes. Je chante des choses que je n’aurais jamais pu chanter avant, tout en essayant de rester le plus léger possible. Le virage musical est là en effet mais pas seulement électro ! Si l’on écoute bien le disque, on entend que j’essaie d’aborder une dizaine de genres musicaux différents, du rock à la soul en passant par la new wave, le hip-hop ou le rnb. Je voulais faire une photo de ma vision de la pop culture en général, qui selon moi est de plus en plus fascinante depuis 3 ou 4 ans.
Peut-on parler de changement de style ? Ou au contraire d’un retour aux sources ?
Je n’ai pas la sensation d’avoir changé de style à proprement parler. C’est toujours la même personne qui écrit les chansons derrière l’arrangement et je les écris toujours de la même manière. Même si j’utilise d’autres outils comme un iPad ou des samplers aujourd’hui, c’est le même procédé en ce qui concerne la composition. Je vois plutôt cet album comme une continuité de ma vision d’auteur pop et une découverte de mon amour de la réalisation. Même si j’ai toujours aimé faire ça dans Cocoon, la palette de couleur était uniquement folk et acoustique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, j’avais envie d’autre chose.
Vos paroles participent à cet univers très personnel : qu’aimez-vous raconter, dévoiler ?
Sur ce disque les paroles parlent de choses que je n’osais pas aborder avant comme la découverte de la sérénité, le fait de commencer à se sentir adulte et d’accepter ses défauts, lâcher prise. Je me suis rendu compte que ça faisait des années que je vivais des choses toxiques ou néfastes pour moi par exemple. Chaque album est un état des lieux, une photo de toi au moment où tu l’écris.
Il m’avait toujours semblé depuis le premier EP de Cocoon puis l’album qu’il ne s’agissait pas seulement d’un style musical mais bien d’un univers parfois tourmenté, parfois attachant, à la fois gai et mélancolique. Vous le transmettiez d’ailleurs sur scène aussi. Cela se prolonge ?
Je ne crois pas que ça se prolonge, je n’ai pas fait encore quoi que ce soit de volontairement tourmenté ou attachant ou gai dans ce projet, au contraire, j’ai essayé de rester dans l’esthétique pure. Je me sens plutôt en rupture assez nette avec Cocoon. Je n’ai fait que deux concerts seul pour le moment et je laisse beaucoup plus de place à la musique.
Des routes musicales que vous aimeriez encore emprunter ?
Oui, tout est ouvert maintenant.
On trouve déjà beaucoup de remixes de vos titres, c’est quelque chose qui vous plait ?
J’adore ça, c’est un rêve de gosse ! Je voudrais moi aussi remixer des artistes maintenant.
Des souvenirs qui vous ont marqué particulièrement ? Des endroits où vous aimez jouer ?
Mon premier concert au Point Ephémère à Paris cette semaine à Paris. C’était fantastique, j’avais l’impression d’être dans une bulle de joie, complètement euphorique. Même avant le concert, pas de trac, juste cool, avec mes potes, tout était parfait. Sûrement un de mes plus beaux souvenirs en live. Sinon j’adorerais jouer au Japon et repartir aux USA, Australie. Découvrir la Scandinavie aussi.
Votre public ressemble plutôt à quoi généralement ?
20 ans / 40 ans. Hommes, femmes, c’est mélangé. Je trouve mon public vraiment cool et ouvert, prêt à être surpris, sans démagogie. Mais c’est encore un peu tôt pour les statistiques.
Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment ?
Grosse difficulté de trouver un disque qui me plaise depuis le début de l’année. C’est la première fois que ça m’arrive et je trouve ça presque inquiétant, j’ai du mal à m’emballer pour quoi que ce soit. Ce n’est pas dans mes habitudes car en général j’ai toujours des choses à conseiller. 2013 a été une si grande année musicalement que tout ce que j’écoute me paraît sans saveur cette année, malheureusement.
Vous avez une manière particulière de composer ?
Chez moi, sur mon piano, dans mon studio. Ou alors en voyage, avec mon iPad ou une guitare acoustique. J’ai toujours un carnet avec moi, pour noter des phrases, des « punchlines » comme on dit dans le rap.
Est-ce que la popularité acquise au cours de ces années au sein de Cocoon vous ajoute une pression particulière ?
Non au contraire, je sens qu’elle me porte et qu’en même temps il faut que j’arrive à montrer aux Français que je n’existe pas que dans une seule case. C’est compliqué dans notre pays car il se trouve que nous vivons en ce moment dans une sorte de musée un peu poussiéreux musicalement. J’ai la chance d’avoir beaucoup de recul sur la chose grâce à mon expérience passée, ce qui fait que je ne me mets aucune pression. Je trace ma route, tranquillement.
Petite question finale : un visuel pour incarner votre musique ?
Par mon chat Yuki. Bleu et blanc, avec du caractère.
Jules Fournier et Maxime Briantais