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Para One : “L’exigence de la musique club est un carcan intéressant”

Depuis plus de dix ans, Para One – Jean-Baptiste de Laubier de son vrai nom – a imposé sa patte à la musique électronique française. De sa participation à TTC à la fondation de Marble (avec Surkin et Bobmo), Para One mélange les genres, et brouille les pistes. Epiphanie, véritable album french touch 2.0 et Passion, album plus pop, et plus house, en attestent.

Compositeur de bandes originales pour le cinéma (Naissance des pieuvres  et Bande de Filles de Céline Sciamma), et producteur pour des projets apparemment aussi éloignés que Birdy Nam Nam ou Micky Green, mais surtout excellent DJ, Para One multiplie les casquettes.
Aujourd’hui, il est de retour sur les dancefloors avec Club, un nouvel album taillé pour les salles sombres du monde entier. Cet album, version revisitée de Passion, sera plus tapageur que les précédents. C’en est fini de l’écoute de l’écoute passive dans son salon,  Club est là pour faire danser qui voudra. La dance music est à l’honneur dans cet album truffé de  références.

Para-One

L’album s’intitule Club, ça annonce clairement la couleur. As-tu cherché à dépasser la musique club justement, à brouiller les pistes ? Y a-t-il une relation étroite entre Passion et la version revisitée qu’en propose Club ?

Oui, c’est l’idée du projet, c’est là qu’il est intéressant. En faisant l’album, j’ai d’ailleurs mis les deux disques côte à côte, car je voulais pouvoir comparer les pochettes, les visuels se ressemblant un peu. Il y a quelque chose qui se raconte entre les deux disques, j’explore comment on peut repasser sur une idée pour faire quelque chose de complètement différent sur le plan esthétique. C’est un exercice de décontextualisation,  prendre un morceau et l’amener dans l’univers du club. Parfois, c’était un morceau qui était à l’origine vraiment ultra calme, fait pour être écouté dans un walkman ou dans un salon, et là, la question qui se pose, c’est : qu’est-ce qu’il en reste et qu’est-ce qui apparaît quand on transforme un morceau pour le club ?

Est-ce que cette transformation dont tu parles a été difficile ?

Non, ça a été assez joyeux, en fait je m’apprêtais à faire un live, à jouer des morceaux, j’étais dans cette énergie, je l’ai donc fait relativement vite après Passion, en me disant « si ce morceau-là, je devais le jouer dans un festival, qu’est-ce que je garderais ? ». Et dans certains cas, ça été très difficile techniquement car il n’y avait pas le côté impact qui est nécessaire dans un club. Ce que je trouve beau dans la musique club, c’est qu’il y a cette exigence, la musique a une fonction, on est là pour faire danser les gens, et pas pour autre chose. On ne peut pas provoquer un vrai ravissement esthétique sans ce côté dansant. C’est un carcan intéressant.

As-tu retravaillé « simplement » les tracks de Passion ou y-a-t-il eu aussi un véritable travail de composition pour Club ?

Il y a eu des moments où j’ai tout « cassé », mais j’ai toujours gardé les structures harmoniques. Disons qu’il y a un vrai travail de production, sur le son et la structure.

Club, dans sa production plus électronique que Passion, me fait penser à ton album Epiphanie, qu’est-ce qui a changé entre ces deux albums ?

Presque dix ans se sont écoulés. Epiphanie, j’étais dans la recherche d’une sonorité un peu plastique, digitale et j’avais beaucoup moins d’expérience, j’avais pas passé dix ans à voyager pour jouer ma musique dans des clubs, donc il y avait quelque chose d’assez naïf, mais probablement touchant dans cette approche de la musique électronique… Alors que Club au contraire manifeste une certaine expérience, je sais ce qui va fonctionner et ce qui ne va pas fonctionner ; je sais sur quels boutons je dois appuyer pour que les gens réagissent de telle ou telle façon, donc je pense que, du point de vue de la manufacture, c’est probablement mieux exécuté.

C’est intéressant de mettre les deux en relation, je ne l’ai pas assez fait, il faudrait que je réécoute Epiphanie.

Tu travailles comme Jaumet ou Rebotini, avec des synthés analogiques, qu’est-ce qui te plaît avec ces machines ? Pourrais-tu amener tes synthés sur scène ?

Je l’ai fait déjà fait, déplacer les machines, avec Tacteel à la Gaîté Lyrique. On avait beaucoup de matériel, et même si seulement 500 mètres séparaient mon studio du sien, il y a des machines qui ne se sont pas allumées, il y a eu des problèmes de dernière minute. Ce sont des machines avec lesquelles je travaille tous les jours, j’en ai vraiment besoin, elles ne servent pas à décorer mon studio. Donc, prendre le risque de les envoyer dans des avions, les exposer à l’humidité, la chaleur, le froid, les manipulations diverses, c’est simplement trop lourd pour moi. Aujourd’hui, en plus, je m’intéresse vraiment au Dj-Set en tant que tels, je m’intéresse au travail de Dj plus qu’au live. Par contre, le fait de travailler avec des machines dans mon studio, ça amène un côté physique, il y a une action qui correspond à chaque idée.

A l’époque d’Epiphanie, c’était vraiment le cerveau et l’ordinateur, et ça s’arrêtait là. Et ça rend un peu fou en fait, c’est aussi un truc de plaisir personnel à travailler, j’avais l’impression de penser ma musique et qu’elle s’exécutait directement sur mon ordinateur. Alors qu’aujourd’hui,  il y a cette étape de l’action physique qu’est l’enregistrement d’une ligne de basse, et il y a une partie plus aléatoire aussi. Pour ce qui est du son, je trouve qu’on sanctifie beaucoup le son des machines anciennes, c’est vrai que leur son a tendance à être beau, mais pour ma part, c’est pas vraiment pour cette raison-là que je les utilise, mais plutôt parce que quand je regarde un synthé, il évoque spontanément quelque chose pour moi. Un Mini Moog, il me donne envie d’un certain son, c’est une question de fluidité dans le travail et l’inspiration.

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Tes artworks sont toujours très soignés, ils me font penser aux collages des Surréalistes ou à des photos des années 30, quel est le but, quelles sont tes envies ?

Pour Passion et Club, c’étaient des images qui existaient déjà, qui datent d’un certain temps. La pochette de Passion c’est un tableau d’un peintre américain qui a fait ça en 1993 (Jim Buckels). Surkin est tombé sur ce tableau et me l’a proposé, j’ai eu un flash total, j’ai dit « cette toile,  c’est la pochette de mon disque », en plus c’était un format carré donc c’est comme si c’était écrit d’avance, on a contacté le mec, on a mis un « Parental Advisory » pour rajouter une couche de « surréalisme » en plus, parce qu’un tableau comme ça avec un logo qui fait penser au gangsta rap, on trouvait que ça faisait le bon contraste. Pour Club, je suis tombé à Los Angeles sur un bouquin de photos japonaises, et ça date de 1984, c’est un photographe japonais (Tomohiko Yoshida), il a fait ça à Tokyo.

Il n’y a jamais mon nom sur les pochettes parce que je pense qu’à l’ère du numérique, c’est plus très important, il y a toujours le nom associé quelque part sur internet.

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On m’a déjà fait remarquer qu’il y avait une trace de surréalisme à chaque fois, et c’est vrai, ça correspond à quelque chose dans ma musique, l’association d’éléments hétérogènes qui n’ont rien à voir ensemble. Et là, ce que j’aime bien dans la pochette de Club, c’est qu’il y a cette colonne qui évoque la colonne de Passion. Passion, on pourrait bien l’écouter dans cette atmosphère-là, et pour Club, c’est comme si on sortait du Berghain, avec une hallucination, un peu à la 2001 Odyssée de l’espace où on voit un totem. Au début, quand j’ai proposé cette image personne comprenait pourquoi, les gens disaient que ça ne faisait pas penser à la fête, mais moi je trouve que ça y fait penser. C’est le genre de photo que tu comprends quand tu es complètement explosé après une soirée, quand le soleil s’est levé…

Tu as produit le dernier Micky Green mais aussi Defiant Order, le dernier album de Birdy Nam Nam, le premier étant un album pop et le second plus électronique. Qu’est-ce qui te séduit dans la production d’autres artistes ? Le style, le projet ? La direction qu’ils prennent ?

C’est avant tout un truc humain. L’envie de travailler avec des gens. J’ai déjà beaucoup de travail, et même en refusant de produire des gens, je pourrais gagner ma vie et avoir suffisamment de choses à faire, donc c’est pas tellement pour des raisons professionnelles, c’est plus des choix humains. Les Birdy Nam Nam, ils m’ont beaucoup apporté et je leur ai aussi sans doute apporté beaucoup. Et Micky Green, c’est pareil, on était avec Tahiti Boy qui est un super pote à moi, on est allé la rencontrer, j’ai dit OK banco on le fait parce que je sens un vrai truc, on a aussi bossé avec plein de musiciens qui sont des gens de l’entourage de Tahiti Boy, des gens que j’adore. En fait, dès que c’est une aventure collective, je suis tout de suite séduit.

En ce moment, je suis plus focalisé sur mes propres trucs parce que j’ai l’impression que c’est le moment pour moi de dire le plus de choses possible, je me sens en confiance et j’ai une bonne capacité de travail. C’est le moment où je veux accomplir mes grands projets, donc je ne suis pas sûr de produire d’autres artistes pour le moment, parce que ça prend beaucoup de temps.

Qu’est-ce qui te plaît lorsqu’on te demande de participer à la création de la BO d’un film (Naissance des pieuvres, Bande de filles, etc). Qu’est-ce qui change dans le déroulement de la production ?

Pour ces films, j’ai eu la chance de travailler avec des amis. Donc en fait, très en amont, j’ai été au courant tout de suite qu’ils voulaient que je fasse la musique, dès l’écriture du scénario ils me l’ont dit, et donc ça a été assez fluide. J’ai été invité au montage, j’ai eu le privilège de voir le film dans les premiers spectateurs. Tout de suite, j’ai commencé à travailler sur la BO, et comme on se connaît et qu’on a un vrai langage commun, c’est allé très vite.

La différence avec la production d’un de mes albums, c’est qu’il y a une intention qui n’est pas la mienne au départ, c’est une demande, une commande, c’est quelque chose qu’il faut remplir, et je trouve ça super libérateur, d’un coup il y a déjà quelque chose, et on répond à cette chose. Donc dans le processus c’est plus facile d’une certaine façon parce que c’est moins moi, et je trouve ça agréable quand je dois travailler sur l’imaginaire de quelqu’un d’autre.

Qu’est-ce que t’a apporté ce que tu as appris à la FEMIS dans ta production musicale ?

Pour la musique de film, ça m’a aidé parce qu’il y a un langage que je connais, je suis déjà venu dans une salle de montage, et on me prend au sérieux quand je donne mon avis, et c’est une force. Ça a surtout réduit mes heures de sommeil à l’époque où j’étais étudiant et que je devais en plus produire les albums de TTC pendant la nuit (!), donc à l’époque c’était très intense. Je suis très content maintenant d’avoir réussi à diviser les deux activités. Mais de toute manière, tout nourrit tout… Et, au contraire, je pense que c’est le fait d’avoir une oreille de musicien qui m’aide pour faire des films.

Justement par rapport au fait de faire un film, vas-tu passer derrière la caméra pour un long-métrage ?

Oui, je suis en train d’écrire un scénario, mais bon il y a le temps, c’est toujours plus long pour le cinéma. Mais je suis effectivement en train de travailler sur un projet cinématographique.

Envisages-tu d’autres collaborations avec des réalisateurs ?

Je suis ouvert à toutes les propositions en effet, mais là je me concentre vraiment sur la sortie de Club. On verra aussi ce que donnera la sortie de Bande de Filles, et comment ça sera perçu, et si on me propose quelque chose je serais ravi.

Profondeur de Champs est un webzine culturel, où on parle autant de littérature que de cinéma ou d’expositions. Est-ce que tu aurais un bouquin, un film et une expo à conseiller ?

J’ai beaucoup été marqué par L’inconnu du lac l’année dernière, un chef  d’oeuvre.

Pour le livre,  je conseillerais mon livre de chevet, je relis en ce moment La Montagne magique de Thomas Mann qui me fait un effet énorme, j’étais à la villa Iena en résidence artistique où j’avais l’impression d’être un peu comme dans le sanatorium de la Montagne magique.

Et une expo… J’ai reparlé récemment avec des amis de l’expo Rothko qui avait eu lieu à Paris il y a un certain temps, la structure de l’expo, les derniers tableaux présentés… C’est quelque chose qui m’a beaucoup touché, et je suis en train de me rendre compte que j’aimerais beaucoup allé revoir certains des tableaux de Rothko si je trouve un moyen d’y avoir accès.

Entretien réalisé par Rémy Pousse-Vaillant