PROFONDEURCHAMPS

Une histoire de snob

« Charles-Henrè, Charles-Henrè, il n’y avait que cinq-cents m2 je vous assure, qu’est ce qu’on était à l’étroit…! »…

« Le son même du mot snob, qui commence en sifflement pour finir bulle de savon, le destinait à une grande carrière dans le domaine du mépris et de la frivolité » écrivit le chroniqueur mondain Philippe Julian. Il ne crut pas si bien dire.

snob2Est snob celui qui veut être au dessus du commun et qui se croit supérieur à ceux qu’il perçoit, plus ou moins consciemment, comme des « gens de peu ». Le snob, c’est cet homme au regard dédaigneux et aux mots châtiés, cette femme au sourire hautain et à l’air vaniteux. L’obsession du snob est d’appartenir à l’élite, ou du moins, à ce qu’il considère comme tel. Et cette élite, il l’épie, l’imite, reproduit avec habileté le moindre de ses usages. A tel point qu’il connait parfois mieux que les membres de cette élite, l’étiquette et les comportements mondains qui la régissent.

Quelle est donc l’origine de ces quatre lettres, vous direz-vous, pour qu’elles soient synonymes aujourd’hui d’une personne si détestable ? La réponse à cette question est à se clouer au pilori du bonheur étymologique. Snob trouve son origine la plus probable au temps des Empereurs romains. Ces derniers récompensaient certains de leurs serviteurs plébéiens en offrant à leur progéniture la même éducation que celle réservée aux patriciens. Pour séparer le bon grain de l’ivraie, leurs snobs de magisters n’oubliaient cependant jamais d’inscrire en marge des noms des élèves issus du peuple cette terrible abréviation : « s.nob. » = « sine nobilate » = « SansNOBlesse ». Ainsi commença la longue histoire du mot snob.

Quelque deux mille années passèrent et tout à coup, au début du XXe siècle, le mot « snob » (re)devint à la mode parmi les étudiants d’une des institutions les plus chics d’Angleterre : Eton College (ou Cambridge University selon les sources). La bourgeoisie qui venait de connaître un véritable essor économique vit les portes de ces prestigieux établissements s’ouvrir, établissements jusqu’alors réservés aux fils de la nobility. L’admission de ces nouveaux arrivés n’était pas du goût de tous. Et puisqu’on y surnommait déjà les étudiants nobles les nobs, on s’empressa de se moquer des parvenus en les taxant de snobs. L’histoire se répétait sans que personne ne s’en aperçût. Ainsi était né le sens moderne du mot et avec lui le complexe du snob : celui de n’être pas considéré comme légitime par ceux qui tenaient déjà le haut du pavé, et donc un besoin perpétuel de prouver que sa place est méritée.

[caption id="attachment_9097" align="alignleft" width="198"]Boniface de Castellane (1867-1932) Boniface de Castellane (1867-1932)[/caption]

D’expression locale, le mot snob passa dans le langage courant au Royaume-Uni dès 1848 par le biais du Livre des snobs, par l’un d’entre eux (The Book of Snobs, by One of Themselves) de William Makepeace Thackeray, auteur des Mémoires de Barry Lyndon, romancier brillant de l’époque victorienne. Il y reprend une série d’articles parus dans Punch, hebdomadaire satirique fondé en 1841, dont il fut l’un des collaborateurs. Petit à petit le snob était devenu connu de tous… « Au commencement, écrivit Thackeray, Dieu fit le monde, et avec lui les Snobs ; ils sont de toute éternité, sans être plus connus que l’Amérique avant sa découverte. Aujourd’hui seulement […] la foule a fini par avoir un vague sentiment de l’existence de cette race ; mais il y a vingt-cinq ans à peine qu’un nom, monosyllabe bien expressif, fut mis en circulation pour la désigner. »

Paradoxalement, bien des membres de l’élite, qui méprisaient naguère les snobs, en devinrent eux-mêmes, sans même s’en rendre compte. Proust, comme tant d’autres, fut fasciné par la question du snobisme, puisant son inspiration parmi les dandies parisiens tels que Boni de Castellane (prononcez Caslane).

Tomber dans le snobisme des vanités était le risque de l’air du temps. Chateaubriand l’avait déjà évoqué dans ses Mémoires d’outre-tombe : « L’aristocratie a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ; sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier. ». Si l’élite s’éteint parfois, change souvent ou qu’elle renait de ses cendres, le snob lui, n’est pas prêt de s’éteindre et sera toujours dans les parages…!

Simon de Saint Romain

Un Commentaire

  • Posté le 2 September 2014 à 05:44 | Permalien

    Génial article, merci! A ne pas confondre avec le dandysme!