New York City, 5 septembre 2014.
Planté devant l’étalage de magazines d’une boutique, je scrute avec délectation les couvertures. Sur la troisième rangée, j’aperçois la jeune Tavi Gevinson. En 2008, alors âgée de douze ans, elle fonde le brillant blog mode “Style Rookie” qui se hisse très vite parmi les plus visités de la blogosphère suscitant dans la foulée la curiosité des journalistes et des designers. Aujourd’hui, elle fait la couverture du numéro d’août du New York Magazine. Sur la (très grande) couverture du sacrosaint numéro de septembre du Vogue US la référence à l’univers 2.0 est également là . Cara Delevingne, Karlie Kloss, Edie Campbell, Andreea Diaconu… neuf des plus grands tops du moment sont photographiées, alignées, sourire aux lèvres, avec la skyline new-yorkaise en arrière-plan et en lettres capitales on lit : « THE INSTAGIRLS ! ». Hier reléguées au second plan, elles ont été propulsées au rang de reines des réseaux sociaux grâce à Internet.
[caption id="attachment_9508" align="aligncenter" width="333"] Jordan Dunn et Cara Delevingne en backstage, publié par Cara Delevingne à ses 7 millions d’abonnés sur Instagram, septembre 2014.[/caption]Réellement utilisé par le grand public depuis les années 1990, c’est principalement à l’aube des années 2000 que le web s’ouvre aux utilisateurs inexpérimentés. C’est l’apparition entre autre de Blogger (1999), de Facebook (2004), de Twitter (2006). Le web devient alors un nouveau vecteur de communication et un extraordinaire support d’expression. L’impénétrable cage dorée qu’est la sphère de la mode s’ouvre alors au monde. La chasse gardée d’une l’élite se démocratise. La question est désormais de savoir si la révolution qu’a connue la mode ne l’a pas expurgée de son auréole mystérieuse.
Du côté des marques et autres petits cercles regroupant les instances influentes de la mode, l’appropriation de la toile fut difficile. L’effroi s’explique alors par une opposition essentielle. Alors que l’un se complaît dans l’élitisme, le rêve et l’inaccessible, l’autre a pour vocation de toucher le plus grand nombre, sans distinction.
Dans un premier temps, la mode s’approprie la toile à marche forcée et, peu à peu, les grandes marques s’immiscent dans le quotidien des consommateurs via la publicité en ligne, les pages Facebook, les publications Instagram et tutti quanti. On construit une image, un rêve et on le diffuse à très haut débit. L’image du luxe comme un univers inaccessible est totalement redessinée.
Dans le domaine de la communication internet, Burberry réussit à tirer son épingle du jeu. “Art of the Trench” est lancé en 2009 et propose une expérience tout à fait nouvelle pour le consommateur qui peut publier sa propre interprétation du trench, emblème de la marque. En septembre 2010, Burberry lance un grand événement sur la toile : la retransmission en 3D et en temps réel de leur défilé printemps-été sur leur site internet.
[caption id="attachment_9509" align="aligncenter" width="332"] Streetstyle dans le cadre du projet « Art of the Trench » par Burberry, photo réalisé par The Sartorialist (Scott Schuman)[/caption]Le profane peut enfin entrer dans le temple de la mode. Les clients et les passionnés trouvent une place dans la mécanique. Il n’y a pas seulement changement dans la manière de diffuser et d’imposer les modes dans un mouvement partant du haut vers les masses. Bien au contraire. Ce qui fait d’internet l’investigateur d’une révolution, c’est bien le bouleversement de ce rapport. Désormais les internautes peuvent critiquer, promouvoir et alimenter l’univers de la mode. On passe alors du statut de spectateur à celui d’acteur tout en restant sur notre canapé. Le mouvement de « bubble up » caractérisant la dynamique partant de la société vers le monde de la mode et énoncé par Ted Polhemus est décuplé. L’industrie suit les directions prises par cette communauté grandissante d’internautes évoluant entre masse et grandes marques.
Leurs publications influencent désormais le choix des consommateurs et dessinent les grandes lignes des collections à venir. En effet, au début des années 2000, la mode sulfureuse et audacieuse des années 1990 est rejetée au profit de collections plus portables. La mode se connecte à la vie de ses consommateurs. Dorénavant on glorifie le minimalisme de Phoebe Philo et on arbore un « normcore » assumé.
Mais sur internet, les plus grands comme les plus petits peuvent apparaître sur les écrans. Même si cette ouverture de la parole dans l’univers de la mode est glorifiée, on doit cependant en subir les dérives. Publication Facebook, articles de blog, Twitts… on peut vite se noyer dans la masse d’informations dans laquelle la pertinence est diluée. On cherche parfois du contenu. En vain.
Cet éparpillement oblige un rassemblement autour de quelques grandes références. Garance Doré, Scott Schuman (The Sartorialist), Jane Aldridge (A Sea of Shoes), Tavi Gevinson (Style Rookie) etc. Ces bloggeurs ont accédé à une légitimité indiscutable dans le milieu. Placés au premier rang des plus grands défilés, ils informent certes mais perpétuent aussi la fascination que suscite cet univers. La révolution dans le milieu de la mode dont est à l’origine Internet a attribué une place nouvelle aux consommateurs. Mais, finalement, face à cette avalanche de publications, le but de l’internaute est de partager ce qui sera considéré comme original, inattendu, exclusif. Se distinguer pour in fine intégrer le cœur de la nébuleuse.
Vivien Canadas
Un Commentaire
bel artcile!! bravo vivi!!