Au cours des soixante dernières années, Lee Friedlander a capturé en noir et blanc le « social landscape » des Etats-Unis, sa vie de famille, les grands jazzmen ou son propre reflet. A Bruxelles, la Fondation A Stichting consacre actuellement une exposition, intitulée « Self and Family », à celui qui est incontestablement l’un des plus grands photographes américains contemporains.
Lee Friedlander est né en 1934 dans l’Etat de Washington. Sa vocation est pour le moins précoce. A l’âge de cinq ans, alors qu’il va récupérer des portraits de son père dans le studio photographique local, il découvre la chambre noire et l’apparition de l’image sur une feuille de papier. C’est une révélation. Il sera photographe.
Entré en 1952 à l’Art Center College of Design de Los Angeles, Lee Friedlander abandonne bien vite les cours et la Californie pour la bouillonnante Big Apple. Après la photographie, le jazz est sa deuxième passion. A partir de 1955, il suit des groupes de jazz sur leur tournée, réalise des pochettes pour Atlantic Records et immortalise les grands musiciens de l’époque, dont l’iconique Miles Davis.
Des fifties au seventies, Lee Friedlander travaille à New York en tant que photographe professionnel. Devant son objectif se succèderont des célébrités, des cowboys et même des enfants. En 1960, il reçoit une bourse de la Fondation Guggenheim. Cette distinction va lui permettre de passer à une approche plus artistique de la photographie. Trois ans plus tard, il expose pour la toute première fois, à la George Eastman House à Rochester.
A l’instar de Robert Frank et de Walker Evans – qui deviendra un ami –, il s’intéresse rapidement à la photographie de rue. Dès le début des années 60, il se met à photographier la vie quotidienne dans les métropoles américaines. Au travers de ses clichés de vitrines de magasins, d’affiches publicitaires et de signalétiques toujours plus envahissantes, c’est le chaos de la vie urbaine que Lee Friedlander enregistre sur pellicule. A cette même époque, et en parallèle à ce travail sur le « social landscape », il commence à explorer les différentes facettes de l’autoportrait, ainsi qu’à photographier sa famille.
En 1967, Lee Friedlander a les honneurs du Museum of Modern Art de New York. Il y partage l’affiche avec deux autres jeunes photographes américains, Diane Arbus et Garry Winogrand. Avec l’exposition « New Documents », le MoMA s’attache à mettre en avant une génération qui n’ambitionne pas de « réformer la vie, mais de la connaître ».
En 2005, il a reçu le prestigieux prix international de la Fondation Hasselblad. Cette même année, une rétrospective majeure de la carrière de Lee Friedlander a été organisée au Museum of Modern Art.
L’exposition de la Fondation A Stichting s’articule principalement autour de deux ouvrages In the Picture Self-Portraits 1958-2011 et Family in the Picture 1958-2013. Riche de plus d’une centaine de clichés, elle plonge le visiteur dans l’univers moderne et inventif du photographe américain.
Avec ses autoportraits, Lee Friedlander rompt et renouvelle la tradition du genre. Le plus souvent, il n’apparaît que de façon indirecte et inattendue. Il joue avec le reflet des miroirs et des vitrines des magasins. Il surgit, çà et là, par un jeu d’ombres, sur les objets ou les personnes. Lee Friedlander considère ses autoportraits comme « l’extension périphérique de son travail ». Il explique même avoir le sentiment d’être un intrus sur ses propres photographies.
Maria with Erik, New York City, 1960 © Lee Friedlander
L’exposition se poursuit avec les images de ses proches. Lee Friedlander raconte en noir et blanc les évènements clés d’une vie de famille comme ses moments les plus anodins. Cliché après cliché, le photographe américain nous offre des portraits intimes. On y découvre Maria Friedlander, ainsi que leurs deux enfants, Erik et Anna. Viendront ensuite les petits-enfants. Il est très clair que l’appareil photo était une présence constante au domicile familial, comme une sorte d’extension naturelle de Lee Friedlander-l’artiste. Pourtant, les images exposées à Bruxelles sont tout en retenue. Pas de trace de dispute ni de violente colère. Sans doute parce que, comme l’écrit Maria Friedlander dans l’introduction de l’ouvrage de son mari Family (2004), « un livre de photographies ne dit pas toute l’histoire […]. La caméra de Lee ne pouvait rapporter les dysfonctionnements de notre famille. »
Emilie Damour
Lee Friedlander – Exposition Self and Family – Fondation A Stichting à Bruxelles – jusqu’au 14 décembre 2014