Nous sommes dans le bar/restaurant du Théâtre Paris Villette. Spectateurs, comédiens et techniciens tiennent des discussions animées autour de verres de vin après la deuxième représentation de “Une année sans été”, pièce de Catherine Anne mise en scène par Joël Pommerat. Déjà programmée à l’Odéon, la pièce tourne depuis maintenant deux ans. Ce spectacle n’en reste pas moins une première. Joël Pommerat se lance en effet dans une aventure nouvelle : la mise en scène d’un texte dont il n’est pas l’auteur. C’est encore une première dans la mesure où Joël Pommerat offre à de jeunes comédiens la possibilité de rejoindre la troupe, le temps d’un spectacle.
Entretien avec trois d’entre eux, Carole Labouze (Mademoiselle Point), Laure Lefort (Louisette) et Franck Laisné (Gérard).
Profondeur de Champs : C’est la première fois que vous jouez dans une mise en scène de Joël Pommerat. Pouvez-vous me raconter votre rencontre, me parler de la genèse du projet ?
Laure Lefort : Nous avons rencontré Joël Pommerat lors d’un stage au Conservatoire du 18eme arrondissement, dans lequel Garance, Carole, Rodolphe et moi étions étudiants. Joël trouvait que c’était une bonne chose de faire travailler Une année sans été à de jeunes comédiens. C’était aussi un texte qui lui parlait : le thème de l’écriture notamment faisait écho à sa propre biographie.
Lorsque Joël a proposé ce texte, il n’avait pas le temps de le monter, et nous avons eu envie de nous y atteler avec Garance et Carole. Nous avons donc créé un collectif autour du projet, mais ça n’a pas marché. Joël Pommerat s’est finalement lancé dans l’aventure. Il a cherché d’autres comédiens et Rodolphe qui jouait le rôle du narrateur dans Le Petit Chaperon Rouge nous a rejoint. Il a également rencontré plusieurs acteurs sortant d’écoles belges et c’est Franck qui a été sélectionné.
PdC : Qu’en est-il des méthodes de Joël Pommerat ? Comment avez-vous travaillé ?
Franck Laisné : Joël a souvent dit qu’il avait travaillé comme si c’était sa propre pièce. Ça n’a pas changé grand-chose au final, à part qu’habituellement ses textes sont écrits pendant les répétitions. Puis il avait aussi choisi un texte déjà écrit pour pouvoir consacrer plus de temps au travail de plateau avec les jeunes comédiens. Pour nous trois c’était notre premier projet en tant que professionnels !
Il y a eu plusieurs étapes dans le travail : nous avons d’abord passé quatre semaines à faire des lectures assis sur des chaises, avec pour consigne de se parler réellement. Il s’agissait d’être extrêmement précis dans l’adresse. Une fois sur le plateau, nous avons directement répété avec les micros, les costumes et la scénographie. Joël procède toujours ainsi lorsqu’il crée un spectacle.
PdC : On dit souvent que Joël Pommerat cherche à retranscrire une parole directe, à revenir à une présence pure, ce qu’il appelle un « laisser être », et qu’il rejette toute forme de fabrication. Il s’agit de prononcer les mots comme si c’était la première fois et de se détacher de toute idée préconçue du personnage, ce qui demande à la fois une forme d’abandon et une grande discipline car c’est dans l ‘écoute qu’on peut être au présent. Est-ce difficile ? Comment être en permanence « au présent »?
Franck Laisné : c’est un peu le B.A. BA du comédien, on nous demande ça en permanence. Lors de la dernière période de création à Bruxelles, nous avions un peu des personnages. Il a fallu mettre ça de côté. Joël nous a fait gommer de plus en plus de couches pour revenir à une chose qui était proche de nous.
Carole Labouze : Ça a été difficile pour moi car Mademoiselle Point est un personnage de femme coincée, rigide, c’était loin de moi et difficile de ne pas fabriquer. J’ai eu du mal à ne pas caricaturer le personnage.
Laure Lefort : Comme il y a pas mal de choses lyriques dans l’écriture c’était compliqué. Je pense que d’habitude le travail est dans l’écriture, du coup il nous fallait beaucoup de temps pour ramener cette écriture à nous, il fallait aller contre le texte.
Franck Laisné : Surtout que habituellement, lorsqu’il écrit une pièce, Joël Pommerat part de la manière de parler des comédiens. Alors il nous a donné différentes pistes: on a d’abord beaucoup ralenti le rythme, le débit du texte, pour resserrer ensuite. Puis il y a eu un gros travail sur l’adresse, les encaissements, comment se réapproprier le texte sans a priori.
PdC : Ça a été facile de s’emparer de ce texte là ?
Franck Laisné : Il y a quelque chose qui n’est pas simple dans le texte en lui-même, ce n’est pas le langage de tous. Mais nous avons été aidés par trois membres de la troupe qui assistaient Joël Pommerat. Nous avons aussi des retours après chaque représentation. C’est une grosse pression car nous, jeunes acteurs, qui n’avons pas cette expérience, on exige de nous le même niveau de précision que les comédiens qui sont dans la compagnie Louis Brouillard. On nous demande de chopper ce que les comédiens de Joël ont choppé depuis longtemps. Cette pression a parfois joué contre nous.
PdC : Et concernant l’usage des micros ? Il y a là un rejet d’une certaine forme de théâtralité. Ça vous aide à trouver plus d’intériorité ?
Laure Lefort : Ça offre une grande liberté. C’est très cohérent avec ce que Joël nous demande.
Carole Labouze : Je suis très cinéphile. Je n’aime pas le théâtre où ça crie et j’avais déjà approuvé artistiquement ce truc des micros en tant que spectatrice. Puis j’ai une petite voix donc comme comédienne j’aime bien ce rapport au micro.
Franck Laisné : Mais c’est aussi un travail car il faut quand même soutenir le texte, il faut l’énergie, c’est un truc à jauger. Comme comédien je dois avoir conscience qu’un public doit entendre, les mots doivent résonner malgré tout. Là, au Théâtre Paris Villette c’est plus confiné, mais quand on joue dans des salles beaucoup plus grandes, il faut engager quelque chose du corps et aussi élargir dans la parole.
Carole Labouze : Mais ça s’est fait assez naturellement, on nous a peu repris sur la question des micros.
PdC : C’est la première fois que Joël Pommerat met en scène un texte qu’il n’a pas écrit, sentez-vous des différences ?
Carole Labouze : Nous avions peur de l’accueil du public car Joël Pommerat est adulé. J’avais cette appréhension, mais les gens ont été très bienveillants et accueillants. C’est une opportunité exceptionnelle, c’est vrai, mais nous n’avons pas ressenti que les gens nous attendaient trop au tournant.
Laure Lefort : Nous avons été beaucoup introduits comme un projet de transmission, protégés en quelque sorte. Maintenant, c’est la deuxième année qu’on tourne donc c’est un peu moins mis en avant.
Franck Laisné : Et en même temps à l’intérieur on nous a demandé la même exigence qu’à des acteurs !
Carole Labouze : Pour ce qui est du choix de Joël, il est né de son envie de transmettre. Ayant lui-même tourné le dos à une forme d’académisme, son souhait serait de créer une école, mais il manque évidemment de temps… Ce projet a été une forme de compromis.
PdC : Une pièce sur la jeunesse, le passage à l’âge adulte et le désir de création. Ce sont des thèmes qui vous parlent ?
Laure Lefort : Oui, beaucoup. Au fur et à mesure que le travail avançait, plusieurs thèmes se sont dégagés : celui de devenir adulte, puis de devenir adulte avec sa famille.
Carole Labouze : Catherine Anne a notamment évoqué le fait qu’il faille s’arracher à sa cellule familiale pour pouvoir devenir soi, que le trajet dune vie pour devenir libre c’est de s’affranchir de ce qu’on attend de nous.
Pour ma part j’ai aussi été très touchée par les maladresses amoureuses de ces jeunes.
Laure Lefort : Puis le discours sur le travail inclut également le travail du comédien. Notre propre recherche est proche de celle du personnage de Gérard.
Franck Laisné : Ce sont des thèmes qui nous touchent en tant que jeunes acteurs. Moi quand ça m’est tombé dessus, c’était au moment où je me posais des questions, où je me demandais « mais qu’est-ce que je vais faire ? » Javais envie de jouer dans des choses costauds. Du coup, pour un jeune acteur, ça parle, parce que tout ce qui est de l’ordre de la nécessité, c’est important.
PdC : Qu’en est-il de la suite du projet ?
Franck Laisné : C’est la question qui se pose : la saison dernière on a su au milieu de la saison ce qui allait suivre. Il faut se dire aussi qu’à un moment donné on sera trop vieux pour jouer ça.
Carole Labouze : En tout cas c’est une compagnie qui considère qu’un spectacle vit dans le temps.
C’est super de travailler avec Joël Pommerat, c’est a la fois beaucoup d’excitation et de pression.
Même s’il n’est pas souvent là, qu’il gère son temps en fonction des priorités, (il travaille sur la reprise de Cendrillon en ce moment ) il suit, il est présent.
Laure Lefort : j’ai en tête l’image d’un cavalier avec 5 chevaux !
Carole Labouze : Puis il a l’art des petits discours pour se motiver. Le métier d’acteur ressemble à une compétition sportive. Joël est un bon manager. Il est surtout très humaniste et ça n’est pas si fréquent en théâtre.
Parcours des comédiens
Carole Labouze a été formée au Conservatoire d’art dramatique Gustave Charpentier (Paris 18eme) sous les direction de Jean-luc Galmiche, à l’Atelier international du théâtre de Blanche Salant et Paul Weaver et aux Atelier WRZ théatre de Jean-Félix Cuny.
Franck Laisné a suivi des études de Lettres Modernes à Lille puis Boulogne-sur-mer avant d’intégrer l’ESACT de Liège.
Laure Lefort a d’abord étudié au Conservatoire Gustave Charpentier (Paris 18eme) puis au Conservatoire départemental de Noisel (77).
Propos recueillis par Lillah Vial
Crédit photos : Elizabeth Carecchio