Cycle d’interviews ”Qu’est-ce qu’écrire” ?
Nous continuons notre cycle d’interview d’auteurs avec Fabrice Humbert, qui évoque avec nous son travail d’écriture, la littérature, et le cinéma pour lequel deux de ses livres sont en cours de production. Fabrice Humbert est l’auteur de 4 romans, Autoportraits en Noir et Blanc, Biographie d’un Inconnu, L’Origine de la Violence (Prix Renaudot du livre de poche 2010), et La Fortune de Sila (Grand Prix RTL Lire 2011, Prix Jean-Jacques Rousseau 2010). Son prochain livre, Avant la Chute, est à paraitre lors de la rentrée littéraire au Passage.
Lire interview précédente du cycle.
.
Pouvez-vous nous raconter comment la littérature est entrée dans votre vie ? Qu’est-ce qui vous a amené vers l’écriture ?
C’est entré dans ma vie lorsque j’étais en terminale, mes premiers essais littéraires, c’est en terminale, et j’ai commencé à écrire sérieusement, c’est-à-dire, en pensant vraiment publier, éventuellement en faire ma vie, à 20 ans.
Il n’y a pas de raison particulière, sinon que j’ai toujours été absolument plongé dans les livres, et que finalement c’était un rempart entre moi et le réel… En écrivant, je suis entièrement entré dans la fiction… et le monde de la fiction est bien plus intéressant que celui de la réalité, je suis très heureux comme ça (rires). Non, plus sérieusement, c’est vrai que c’est un souci; les gens qui vivent à moitié dans la fiction, il y en a beaucoup, mais, en faire son métier ça permet d’avoir une sorte de justification pour vivre dans la fiction, et je crois sincèrement que les gens qui vivent de leur art, cinéma, littérature, ou autre, c’est un peu ça, c’est un rapport au réel un peu biaisé. Mais à la fin, si ça se passe bien -et c’est rare que ça se passe bien- on peut profiter de cette espèce de déviance.
Vous parlez de justification, c’est une justification qu’on accepte ?
C’est un raisonnement a posteriori, parce qu’en réalité, c’est purement instinctif, on écrit par instinct. Mais après, je me suis rendu compte, sur le long terme, que j’avais trouvé mon chemin de vie grâce à ça. Ça a rassemblé toutes les dimensions finalement. Il y a un moment ou un autre, où il faut entrer dans le réel, la vie nous y oblige et par ailleurs, ça a aussi une grande richesse. Mais le fait de pouvoir le faire accompagné de l’écriture, ça rassemble tout, fiction et réalité, et une part importante de ma vie réelle, désormais, est consacrée à la fiction. Vous avez, en quelque sorte, la primeur c’est la première fois que je fais cette analyse réalité/fiction (rires).
Peut-on vivre pour la lecture sans ressentir le besoin d’écrire, et peut-on écrire sans avoir lu ?
Est-ce qu’on peut vivre pour la lecture sans ressentir le besoin d’écrire, bien sûr. J’aime beaucoup la peinture, je suis un grand admirateur des peintres, mais ça ne m’est jamais venu à l’idée de peindre quoi que ce soit, ça ne m’intéresse pas du tout d’ailleurs… Je suis vraiment très heureux d’aller dans des expositions, j’adore la peinture, mais non en faire…jamais, jamais…
Peut-on écrire sans avoir lu? Bon, ça c’est un peu un cliché en effet, de l’écrivain autodidacte, qui arrive, tel une bombe, sans avoir du tout toutes les conventions de l’écrivain trop cultivé…mais dans la pratique, en général… Il y a des gens, par exemple, nombreux, dont la culture est composée de téléfilms, et qui veulent écrire, mais dans la pratique ça se traduit par un très grand nombre de clichés d’écriture.
A l’inverse, quand on a beaucoup lu, on déteste les clichés, on en a vu mille fois dans tous les mauvais livres, et c’est très précisément ce qu’on veut éviter ; la lecture a fini par affiner notre propre goût. Alors que la personne dont toute la culture est composée de téléfilms, en réalité, elle assaisonne tous les clichés. Par curiosité je regarde assez souvent tous les manuscrits chez les éditeurs et je vois fleurir, dès la première page, dès la première ligne même, le cliché énorme; on a l’impression de voir un téléfilm du mercredi soir. Or ce n’est pas ça… Donc c’est possible bien entendu, pour l’instant j’ai jamais rencontré d’écrivain pour lequel cela ait été le cas, mais il doit en exister… Honnêtement, cependant, je crois que c’est le plus mauvais chemin. Comme tout en art, tout est possible, bien sûr, mais ces cas sont évidemment très rares, et je ne pense pas que ce soit une force.
Il est bien d’avoir un héritage en quelques sortes; et je dirais qu’on constate dans l’histoire de la littérature, que finalement, les plus novateurs ont souvent été les plus cultivés -pas toujours pour le meilleur d’ailleurs. Joyce, par exemple, en est la figure la plus aboutie ; c’était vraiment un savant, et c’est pour cette raison qu’il a voulu être le plus novateur possible… Ça peut donner, aussi, de vrais ratages -je parle ici en général, et non de Joyce en particulier-, mais il demeure que cela reste un fait répandu: les plus novateurs ont souvent été les plus savants.
Pour revenir à Joyce, je dois avouer que c’est quand même très, très loin, de mon univers, à part les Dubliners que je trouve vraiment formidable, pour le reste – je ne critique pas, je ne me permettrais pas (rires) –, mais ça ne fait vraiment pas partie des écrivains qui peuvent m’influencer.
Vous disiez que vous vous intéressiez aux manuscrits d’autres auteurs ?
Oui, c’est simplement par curiosité, quand je vais, par exemple, chez mon éditeur je vois des piles de manuscrits qui s’entassent, et sachant que j’ai été dans la même position ça m’attendrit; je regarde les débuts, les lettres que les auteurs écrivent; il y a tellement de désir dedans que je trouve cela émouvant, et en même temps il faut bien avouer que, très souvent, j’en suis attristé pour l’auteur, c’est très faible.
Mais c’est la loi du genre, c’est comme ça dans la plupart des domaines de la vie, on est refusé beaucoup avant de pouvoir passer la porte. Et c’est aussi une éducation, il faut passer le seuil et pour passer le seuil il faut s’accrocher… on ne devient pas un joueur de tennis international dès sa première année de tennis et parallèlement on ne devient pas écrivain comme ça, il y a des exceptions, bien sûr, mais généralement, on a beaucoup écrit.
Même si on prend quelqu’un qui a été publié très jeune, et qui a eu du succès très jeune, comme Le Clézio (Le Procès-Verbal, son premier roman publié, rencontre le succès en 1963 ; Le Clézio a 23 ans, ndlr), en fait celui-ci écrivait depuis l’âge de 7 ans… donc si on commence à 57, ça met aussi du temps, à 80 ans on peut espérer…et finalement on a le Nobel à 110…
La Fortune de Sila, pour la dimension historique, et pour l’étendue temporelle, m’a fait penser à L’Education Sentimentale, est-ce que ça a été une source d’inspiration pour vous ?
Non, L’Education Sentimentale n’est pas une source d’inspiration ici. Balzac est une source d’inspiration pour La Fortune de Sila…
Si on veut parler en termes de références -mais les références sont vraiment loin d’être tout un livre-, les références de La Fortune de Sila, ce seraient Balzac, et le cinéma moderne, un cinéma avec des intrigues très éclatées… L’influence de Flaubert n’est plus tellement perceptible dans ce que je fais, elle a pu l’être dans ma jeunesse, mais plus tellement. Par ailleurs, il y a une chose qui est fondamentalement différente entre ce que fait Flaubert, et ce que je fais, c’est l’ironie. Il y a une ironie chez Flaubert que je n’ai pas.
Mes œuvres sont quand même des œuvres de premier degré, et j’assume ce premier degré. Chez Flaubert, ce qui est très perceptible dans L’Education Sentimentale, c’est vraiment cette ironie permanente, cette espèce de détachement par rapport à son personnage principal… or je suis une personne sans ironie, j’aime faire de l’ironie à l’oral, mais lorsque j’écris je suis très premier degré (rires).
Et plus généralement, quels écrivains, passés, présents, admirez-vous ?
J’ai souvent répondu que les écrivains qui m’inspirent, c’est Céline dans Voyage Au Bout de La Nuit, ou Balzac, ou Nabokov, et c’est tout à fait vrai.
Mais puisque j’ai décidé d’être novateur moi-même dans cette interview, et de sortir de mes réponses habituelles (rires), la caractéristique de ma culture, comme pas mal d’auteurs modernes, c’est qu’elle est très composite, ce n’est pas simplement la littérature classique. Il est très clair que j’ai une solide culture classique, c’est mon métier (professeur de littérature, agrégé de lettres, ndlr), mais dans ma culture il y a également pas mal de cinéma, pas mal de mauvais livres, livres d’adolescence, le tout venant des lectures. Et il y a aussi de la bande dessinée, et d’autres œuvres artistiques qui m’ont marqué et qui reviennent dans les livres.
Donc la caractéristique différente -mais, encore une fois, je pense que c’est vraiment une caractéristique des auteurs actuels- c’est qu’il y a beaucoup de culture populaire en quelques sortes. Les navets, les séries z…
En revanche, je n’ai pas du tout la culture jeu vidéo. Mais il y a un certain nombre d’auteurs, actuellement, qui ont aussi une culture jeu vidéo… La littérature moderne, c’est ce qu’on peut observer, si elle s’éloigne de la littérature classique, c’est notamment parce que les références sont quand même très, très composites.
Envisagez-vous de vous essayer à un autre genre littéraire ?
Non, vraiment pas, parce que le roman est un genre qui assimile tous les autres; il n’y a pas besoin d’en chercher d’autres, de toutes façons, ils sont tous dans le roman. Si je veux faire du théâtre, je vais le mettre dans le roman, si je veux faire de la poésie, j’en ferai aussi dans le roman, je crois qu’il y a une dimension poétique nécessaire pour faire une œuvre d’art.
Donc je n’ai pas besoin de chercher d’autres genres littéraires. En revanche, je suis en train de me diriger vers le cinéma. Il y a deux de mes livres qui sont adaptés au cinéma, et, moi-même, dès que j’en aurai trouvé le courage, je vais m’atteler à un scénario de cinéma.
Nous allons continuer sur le travail d’écriture, nous reviendrons sur le cinéma à la fin de cette interview.
Comment écrivez-vous ? Ecrivez-vous chaque jour, combien de temps, à quelles heures… écrire, est-ce aussi une discipline?
Je crois que c’est un point important, parce que cela touche au quotidien des auteurs. Dans la mesure où je travaille, je ne peux pas écrire tous les jours, mes heures de professeur ne me permettent pas, en général, d’écrire pendant la semaine. J’écris beaucoup en vacances. Tous les matins, en vacances… et c’est grâce aux vacances que je peux faire des livres. C’est vraiment ça, j’ai besoin des vacances pour avoir un suivi ; si je me mettais à travailler uniquement le week-end, pendant l’année scolaire, je n’aurais pas de suivi. J’ai besoin, surtout pour le début, je dirais pour les 100 premières pages, de m’immerger complètement. Donc il me faut du temps; si j’émiette trop, je n’arrive pas à construire. Une fois que les choses sont en place, que j’ai 100 pages, tous mes personnages, que je vois comment ça va s’agencer, je peux écrire de façon plus pointilliste. Mais au début, j’ai besoin d’une grosse charge de travail, et que ce soit, effectivement, une discipline régulière.
Le terme de discipline me paraît bien, me paraît nécessaire ; c’est une contrainte qu’on se donne à soi-même, et ça, c’est kantien, ça s’appelle la liberté. C’est moi qui me la donne, donc ça ne me pèse pas du tout, mais il faut que ce soit une discipline; si je me mets à écrire de temps en temps, je vais mettre 10 ans pour faire un livre.
Vous parliez des 100 premières pages, le processus est-il régulier, combien de temps comptez-vous?
C’est une bonne question, parce que j’écris assez vite, en réalité, 100 pages ça peut ne pas me prendre tellement de temps ; 100 pages, c’est, par exemple, un mois. Ce n’est pas long, mais c’est quelque chose qui dépend beaucoup des auteurs, il y en a qui vont mettre 10 ans pour faire 100 pages.
Mais, par exemple, Stendhal allait très vite; Hans Fallada, un écrivain allemand que j’aime beaucoup et que j’ai découvert récemment, a écrit son plus grand livre, traduit en français par Seul dans Berlin (titre original, Jeder stirbt für sich allein (littéralement «Chacun meurt pour lui-même»), paru en 1947), en 3 semaines, alors qu’il était malade, et ça fait 600 pages. Il bat le record de Stendhal, 5 semaines, je crois, pour La Chartreuse de Parme. C’est un écrivain vraiment formidable, son livre vient de ressortir en Allemagne avec une version augmentée, et c’est de nouveau un bestseller.
Comme La Chartreuse de Parme, Seul dans Berlin est emporté par un tempo formidable, mais dans le cas de Fallada, c’est encore plus étonnant, car ça paraît très construit alors qu’on sent le dynamisme de l’écriture dans La Chartreuse de Parme. Seul dans Berlin est très compact, très solide, on pense que Fallada l’a fait sur 10 ans…
Comment se passe pour vous la maturation d’un livre, le choix d’un thème, d’un sujet?
C’est très variable, ça peut mettre des années, c’est souvent, d’ailleurs, des années. C’est souvent la cristallisation de projets que j’ai depuis très longtemps. L’Origine de la Violence, c’est quelque chose qui était très présent depuis mon enfance, une histoire familiale. La Fortune de Sila, c’est parti d’un thème de l’ambition que j’ai eu vers 20-25 ans ; c’est au moins un projet, qui, de toute façon, avait 10 ans. Mais ensuite ces projets subissent une maturation inconsciente, et un jour, ça devient plus présent. Et, à ce moment, je suis souvent tributaire d’un évènement déclencheur, qui va me permettre de commencer.
Pour L’Origine de la Violence, l’élément déclencheur a été d’aller au camp de Buchenwald, avec les élèves du Lycée Franco-Allemand. Et pour La Fortune de Sila, l’élément déclencheur, c’est un diner au restaurant où j’étais. Tout d’un coup je me suis représenté la scène originelle du livre, alors que ça faisait un an que je savais que je voulais faire ce livre, et que je n’arrivais pas à trouver de scène qui fasse le lien entre les différentes intrigues que j’entrevoyais, qui lance le livre. Et tout d’un coup, ça m’est venu durant ce diner au restaurant. C’était d’ailleurs la reprise d’un fait divers que j’avais lu, des années avant, dans la presse, et que j’avais oublié. Ça m’est revenu par un processus inconscient lors de ce dîner au restaurant, sans que je sache que c’était un fait divers. Mais lorsque le livre est sorti, des gens m’ont dit que c’était un fait divers et, tout d’un coup, je me suis souvenu qu’effectivement, j’avais lu cela dans la presse des années auparavant.
Donc il faut bien dire que ce sont des processus assez complexes, et très inconscients finalement, dont on n’est pas maître. Mais par ailleurs, ça part de thématiques qui sont assez obsessionnelles et récurrentes, donc il n’y a pas non plus de grand mystère, on tourne, toujours, autour de ces thèmes.
Balzac (d’après sa biographie par Stefan Zweig, que nous ne pouvons que vous recommander), avait, pendant de nombreuses années, un système particulier ; écrire de minuit à 8h du matin, prendre un bain et un petit déjeuner pendant une heure, écrire, passer dans l’après-midi quelques heures en visites reçues ou données, en correspondance, en mondanités, puis écrire de nouveau, dormir de 20h à minuit, et recommencer. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Disons que ce n’est pas mon modèle, parce que physiquement je ne pourrais pas tenir. Il faut être une brute comme Balzac pour pouvoir tenir ce rythme, mais même lui est mort à 49 ans. J’ai beaucoup d’admiration pour ce Pantagruel, ce Gargantua de la littérature, mais, on voit comme Rodin le sculpte, c’était un colosse, c’était un dévorateur de tout, de lectures, de café, d’art, avec une incroyable capacité d’assimilation dans tous les domaines. Il est quand même incroyable de pur savoir sur les choses, sur les hommes, sur la société, il y a vraiment une intelligence étonnante de tout cela chez Balzac. Etant d’un tempérament totalement moyen, avec une résistance physique moyenne, je peux être fasciné par Balzac, mais ça ne peut pas être mon modèle.
C’est véritablement un des écrivains que vous admirez le plus ?
C’est vrai que je suis impressionné par cette œuvre complètement énorme, d’une puissance sans égale. C’est incroyable, la Comédie Humaine, c’est 100 romans, et même les plus petits romans de Balzac seraient, à notre époque, considérés comme des romans de taille tout à fait normale. Et quand on songe qu’avant ça, il avait écrit, sous d’autres pseudonymes, encore d’autres romans, c’est inimaginable comme œuvre.
D’autre part, ce qui me fascine, c’est son analyse, tout simplement, de la société, et des hommes. C’est quelque chose qui me touche beaucoup, parce que moi-même, j’aime énormément cela, la société, ses ressorts, me passionnent ; même si je n’avais pas écrit sur la société, j’en aurais été un déchiffreur passionné. Et je dois dire que lui atteint un niveau de déchiffrement… Des analystes des passions, il y en a eu plusieurs dans la littérature française, mais là, il y a en plus une analyse sociale remarquable. L’espèce de mécanisme qui broie les individualités est vu d’une façon très impressionnante.
De plus, quand on commence à bien connaître la société occidentale, il faut bien avouer que, dans les grands traits, ça n’a pas changé ; quand on regarde Les Illusions Perdues, et qu’on connait un peu le monde du journalisme et de l’édition actuels, il est très frappant combien, au fond, tout cela change très peu. Les formes changent, mais en réalité, les appétits sont les mêmes, et les instincts humains, et je dirais même, les ressorts sociaux, sont les mêmes.
Ce déchiffrement dont vous parlez justement, cet éclaircissement du monde, de l’homme, est-ce l’art littéraire ?
Sur la question de la définition de la littérature, outre que c’est une question très complexe, il faut bien dire que chaque écrivain a sa propre conception de la littérature, et, en somme il va la mettre en œuvre. C’est pourquoi je suis hostile à tous les écrivains, qui, de façon péremptoire et arrogante, déterminent que leur conception de la littérature est la littérature. Je trouve que c’est une conception, qui, évidemment, est totalement ridicule, par l’arrogance de la prétention qu’elle démontre, mais qui, en plus, est fausse artistiquement, parce qu’on se rend compte qu’il n’y a pas de théorie a priori de l’art. Il n’y a que des concrétisations différentes suivant les individus, et en quelque sorte, il n’y a que des analyses a posteriori, à partir de ce que les gens ont fait. Toute théorie a priori de ce qu’il faudrait faire en art me semble complètement déplacée.
Par ailleurs, il faut avoir conscience que lorsqu’un écrivain exprime sa conception de la littérature, en réalité, il s’exprime lui-même. C’est en général très intéressant pour voir ce que les écrivains ont envie de faire dans leur œuvre. Ça ne donne pas vraiment d’indication sur la littérature en général, mais c’est toujours très intéressant sur les conceptions propres de l’auteur, par rapport à ce qu’il fait lui-même.
Et, effectivement, cette sorte de déchiffrement, de lecture des hommes et des sociétés, ce sont des dimensions qui me passionnent dans la littérature. Mais, à vrai dire, ça n’engage que moi, et honnêtement, il y a beaucoup de gens qui pourraient penser que si on veut faire l’analyse des hommes et des sociétés, on peut sortir de bons essais sur la question.
Je n’ai pas cette conception, je pense que la littérature est, de toute façon, un outil d’investigation formidable sur l’âme humaine, sur les ressorts sociaux, sur le monde tel qu’il est. Et ça me semble, en plus, une forme extraordinaire pour l’exprimer, parce que c’est la forme la plus libre.
Par ailleurs, souvent -ce qui n’est pas le cas d’un essai- le roman est plus intelligent que ce que vous n’êtes vous-même, c’est à dire que, si vous êtes vraiment un bon analyste, en réalité, ce que vous allez mettre dans le roman, sa part consciente, ne sera qu’une part de ce que dit le roman. En dehors de toute la part purement narrative, purement liée aux personnages, que véhicule un roman, il y a bien d’autres choses qui sont dites, que ce que voulait dire l’auteur. Et cette fonction de dépassement de l’auteur par son œuvre, c’est ce qui me paraît le plus caractéristique d’un bon roman. C’est quelque chose que j’ai déjà dit, je crois qu’un auteur qui serait plus intelligent que son roman, est un mauvais auteur, et inversement le signe d’un roman réussi, c’est lorsqu’il est plus intelligent que son auteur.
L’inspiration, à quoi est-elle liée, qu’est-ce qui l’affaiblit et qu’est ce qui la relance ?
Ce que je peux ajouter ici par rapport à ce que j’ai dit plus haut, c’est que si on attend que l’inspiration vienne, on ne peut pas écrire de livre. En ce qui me concerne, il y a des phénomènes de maturation inconsciente qui s’apparentent à de l’inspiration, et qui ont lieu avant le livre, c’est clair, mais lorsque le livre est lancé je n’ai plus à compter sur de l’inspiration, il faut que ce soit un flux constant, et que tous les matins, je sache exactement ce que je veux dire. Pour cela, jusqu’à présent j’ai eu la chance de ne pas avoir de souci, c’est à dire que la page blanche, ce n’est pas un problème pour moi, ça ne m’arrive jamais.
Retrouvez demain la suite de notre entretien, dans laquelle Fabrice Humbert nous parle notamment de l’adaptation pour le cinéma de deux de ses livres, actuellement en cours de production.
Entretien réalisé le 30 mars 2012, par Lucas Trottmann