Construit sur le schéma poétique mais avec une ponctuation historique, la Glaneuse saute de l’historicité la plus précise à la construction d’un réseau autour du nœud « femme ». Une nouveauté pour tracer une carte squelettique de la lutte féministe qui dure depuis 2 siècles.
Si, par hasard ou accident, on cherche l’acte « historiciser » dans la légitimité des autorités de la langue espagnole, la RAE (Académie Royale Espagnole) ne parle pas dans sa banque langagière précise, actualisée et chiffrée, de la définition que je m’invente pour ma recherche autour de ce concept. Si, par insistance ou selon des paradigmes arbitraires, on tombe sur le concept « historicité » dans cette même banque de mots, l’Académie espagnole, autant royale qu’en pénurie de vocabulaire, est sur le point de lier ma petite recherche avec la qualité de l’histoire. Si, pour se démarquer du tir de l’économie de mots, on introduit dans le tableau des vrais mots de la langue « historiciser » (historiar), la première acception signifie « composer, conter ou écrire des histoires ». Composition ? Conte ? Ecriture de l’histoire ?
A d’autres occasions, les objets historiques que j’ai suivis ont toujours tourné autour d’éléments spécifiques, tels qu’une nouvelle histoire argentine, la vie privée en Argentine, la littérature argentine, celle du XXème siècle, voire même une histoire de la conscience de classes ou de sa critique moderne. Et en plus, et enfin, une courte histoire du cul. Génial. Une histoire, on la reformule dans un présent quelconque, on lui donne une intimité, on la régionalise, la temporalise, lui donne une conscience de groupes économiques, sociaux, culturels et politiques, on l’actualise, et on la coupe en cette partie basse et dorsale de son corps, aussi visible que vitale. Génial.
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Comment alors mettre en jeu dans l’acte d’écrire ces histoires un point fixe dans leÂ
corps vibrant « femme » ? Dans la construction de l’histoire, dans ses effets et son fait esthétique.Â
« Histoire du féminisme » (2011, Madrid, Catarata) de Juan Sisinio Pérez Garzón fait partie des nouveautés du catalogue de la Berkana de Chuecaparce parce que c’est un livre qui a proposé de dénaturer des centaines de débats, de déployer des changements de perspectives et de garantir qu’une histoire se justifie quand des droits sont acquis par étapes, grâces à des leaders emblématiques, avec le rêve d’une vie libre de violence. La femme. Dans l’histoire et par étapes.
Comme Amelia Valcárcel l’indique dans son prologue, Pérez Garzón navigue entre “trois grandes vagues : le féminisme éclairé, le féminisme suffragiste et le féminisme contemporain”. Il apparaît que le féminisme n’est ni éternel ni spontané.
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(Suivons la proposition d’historiciser la RAE et appliquons la formule sur le livre de conquêtes de Pérez Garzón, le professeur d’histoire de Castilla-La Mancha qui a les clés de la grande poésie, et mettons à jour le caractère arbitraire des histoires de bibliothèque).
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Histoire du féminisme
Femme piège, femme ruine. Femme maîtresse, femme domestique. Abbesse ?
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Elles filent, elles tissent, elles salent viandes et poissons.
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Femme bonne et sûre, cherche-la dans la sépulture.
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Femme/Femme/Double.
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(…)
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Femme éclairée, féministe.
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(…)
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Femme armée. Femme guillotinée.
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(…)
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Glorieuse avec la différence.
Adultère et pro-avortement ! Pro-cré-a-tri-ce.
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(…)
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Libérale. Socialiste. Anarchiste. Féministe.
Infirmière… Dactylographe… Opératrice téléphonique (composez le X)
PIONNIERE
Françaises et anglaises.
Mère ou amante ? Chrétienne ou pécheresse ? Riche ou pauvre ?
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-La femme est seule.
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(…)
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O u v r i è r e
Oratrice. Qualifiée. Abolitionniste. Analphabètes ou noires.
Associées, citoyennes, et pourtant, égales.
Bibliothécaires et clercques. (Et aussi domestiques.)
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(…)
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Femme romancée. Traduite.
Américaine et moderne femme : libérale.
Naturellement, mère.
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(…)
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Les Femmes de la Seconde République crient :
-Mariée ou retraitée ?
-Stérilisée.
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(…)
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On ne naît pas femme, on le devient.
(…)
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(FEMME PROTAGONISTE) : -Je suis enceinte de… ; je suis la femme de… ; je suis la maman de… de… de…
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(…)
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Mais elle lit les journaux et les revues, elle écoute la radio. La femme allume la télé.
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(…)
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La femme coupe les câbles. Féministe radicale. (Lesbiennes ? Et différentes.)
Opprimées avec une auto-conscience :
-Femmes entre, et pas femmes avec.
-Femmes cyborg, femmes pareilles.
-Institutionnalisées, bien sûr. En démocratie.
Chiffrées par la révolution.
Autant féminisantes que quotidiennes, et toujours en inégalité de genre.
Trans.ver.sa.les.
Invariables, femmes,
Invariables
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Quel genre de renseignement, esquisse, effet pourrait être atteint avec une nouvelle publication de l’histoire du féminisme ? Le schéma est subjectif, sans doute. Avec un certain instinct de survie, de la curiosité d’établir des réseaux si hasardeux avec des faits de l’histoire canonisée, émerge un dépassement des stéréotypes sur la femme. La femme que l’auteur questionne, il propose des alternatives, livre de nouvelles significations, nationalise sa portée et parle autant de la guerre, de l’entre-guerre que de l’après-guerre. Il y a un panel de théories féministes comme celles mentionnées dans la clé de ponctuation historique de l’Occident européen avec des liens faibles vers l’Amérique latine, même si le plus fort du livre est d’écouter les voix mises en relief de ces femmes qui parlèrent entre elles, qui créèrent leur presse et publièrent. Le sommaire contient des chapitres qui marquent les étapes victorieuses de la lutte. Sans le moindre doute, d’autres clés de lecture pourraient être apportées, et c’est pour cela qu’il faut lire ce livre dans l’ensemble des Å“uvres de« l’étagère des genres ». Le piège n’est pas dans les origines mais dans la récupération des stratégies pour continuer l’écriture. Ou simplement, dans les lignes que le féminisme a déjà proposées à l’intérieur de son propre combat. Génial.
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Juliana Corbelli,
écrivaine, enseignante, licenciée de lettres et correctrice pour la presse argentine.
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Traduit de l’espagnol (Argentine) par Quentin Jagorel