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“Je suis vivant” : Pasolini poète

C’est sous ce très beau titre – qui est également un vers du poète – que sont regroupés, au sein d’un recueil des éditions Nous, une vingtaine de poèmes de jeunesse de Pier Paolo Pasolini.

Ces poèmes semblent tous, sans exception, s’enraciner dans l’espace d’une déchirure originelle, intime, irréparable. Originelle, car cette déchirure précède toute conscience ; intime, parce qu’elle détermine les sens et la pensée de celui qui la possède et qui se sait surtout possédé par elle ; irréparable, car sa présence est comme le signe d’une séparation et d’une perte inscrites au plus profond de l’être.

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Les sens sont ouverts à la mélodie des grillons et aux caresses de la fontaine de Vinchiaredo et, cependant, l’expérience de l’ouverture sur le monde est déçue par l’évidence de la solitude et de la violence du temps qui passe :

A peine descendu sur la berge, j’écoute

les grillons en délire, dispersés, qui disent

que rien ne se réjouit de mon retour.

Et je m’en vais seul. 

Dans ces poèmes, le temps et l’être entretiennent une relation essentiellement négative. Non seulement le passé est rapproché de l’oubli et de la mort, la mémoire s’avérant incapable de conserver les traces de ce qui fut cher, mais le présent lui-même, hormis quelques repos de joie dont il est la demeure et le centre, apparaît exclusivement sous la forme mouvante de son passage, à la façon d’une ombre. Dès lors, la solitude, si souvent décrite ou invoquée, se comprend à la fois comme un mouvement de résistance face au temps et comme la confession d’une tristesse découlant de cette résistance vécue comme une nécessité de survie et une contrainte inévitable. La solitude est constatée comme une réalité douloureuse et regretté mais indépassable :

Ah, ma conscience, seule comme le ciel. 

Plus loin :

Ah images désespérantes, ah certitude

de n’être rien d’autre qu’une apparition

à la lumière…

Le philosophe et poète espagnol Miguel de Unamuno écrit qu’un vrai poème est toujours une élégie, c’est à dire une plainte, la confession d’une douleur. Les poèmes de Pasolini lui donneraient raison : ils baignent dans un jour cru qui ne semble pas exister pour accueillir l’homme et lui permettre de se rendre tout entier à l’appel du sentiment d’amour qui l’anime :

Sur le bas côté de la route ensoleillé dans le silence

habituel de la blanche campagne

je me berce d’une solitude mortelle

dans le mortel matin, qui depuis toujours

blanchit de sa lumière l’intense campagne.

Plus tard, le cri d’un enfant coïncide avec la prise de conscience de la vie, coïncide tellement bien qu’il me paraît être comme la matière sonore dans laquelle la vie se découvre et vient au monde ; la vie révélée par le cri :

Un enfant crie – je rêve ? – crie ou chante,

il crie dans la muette campagne, je suis vivant,

un enfant crie.

 Cette douleur n’exclut pas la ferveur, elle est le signe d’un grand amour blessé et non d’une aridité du coeur. La poésie de Pasolini incarne ce douloureux paradoxe : bien qu’entièrement disponible pour l’apparition du sens et de la foi, l’être est en définitive contraint d’avouer l’inassouvissement de ce désir. Le voici qui reste seul, rempli d’un amour inutile, plein du sentiment de l’inadéquation de son coeur et du monde. Le poète lui-même se déclare plein de ferveur mais sans espoir. Il s’en faut de beaucoup pour que cette confession de désespoir le conduise à renier le frémissement des images et à se cantonner dans les moroses territoires de la lucidité. En effet, l’homme est ainsi fait – et peut-être est-ce cela, finalement, la seule trace que nous possédons de sa singulière grandeur – qu’il détient le pouvoir de transfigurer sa souffrance en beauté, par le truchement de l’oeuvre d’art ou du poème. L’héroïsme du poète consiste alors à faire chanter la déchirure qu’il abrite en secret, comme tous les autres hommes, puis d’offrir en partage le don de ses chants :

Le grillon en pleurs chante dans le Frioul.

La source du chant provient d’une déchirure mystérieuse qui conduit la souffrance à se muer ensuite, mystérieusement, en espérance.

Foucauld Giuliani

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2 Commentaires

  • Posté le 3 August 2013 à 05:17 | Permalien

    merci beaucoup 🙂
    … et une question: est-ce que c’est un extrait de ce poème ou bien le poème en entier? ( je l’ai découvert grâce à votre blog, je viens de le traduire en persan et je voudrais le publier à Facebook)

    • Posté le 7 August 2013 à 12:21 | Permalien

      Bonjour, et merci !
      C’en est un extrait.