« Moi président de la République… », vous vous souvenez ? François Hollande utilisait là une anaphore (du grec ancien anaphora, « reprise, rapport »), figure de style qui consiste à répéter, au même endroit de la phrase, un mot, un syntagme, voire une proposition entière.
[caption id="attachment_4947" align="aligncenter" width="560"] François Hollande lors du débat télévisé du second tour de l’élection présidentielle, 2 mai 2012 © France 2[/caption]Très ancienne – elle est déjà utilisée par les latins avant notre ère – elle a connu une fortune formidable en raison des effets variés qu’elle produit : attente et suspense, martellement, bercement… C’est un outil idéal de propagande (l’auditoire finit par mémoriser), d’où son usage fréquent en politique. En poésie, elle devient refrain musical (Rimbaud et le « j’ai vu » du Bateau Ivre, qui déploie les capacités du poète voyant). Chez les orateurs, elle provoque une dramatisation saisissante, tel Malraux dans son discours lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, (« entre ici Moulin, avec ton cortège (…) avec ces hommes (…) entre avec le peuple… »). La religion en utilise les vertus incantatoires (le sermon sur la Montagne de l’évangile de Mathieu : « heureux » répété neuf fois).
L’anaphore de François Hollande a pourtant renouvelé le genre. D’abord elle est légèrement incorrecte au plan grammatical : « Moi président de la République » ne devrait pas être suivi d’une proposition en « je » comme ici « je ferai en sorte, je constituerai… ». D’où un léger froissement à l’oreille qui retient l’attention. Elle contourne soigneusement  un « si je suis président », qui aurait dénoté un manque de confiance, ou un « quand je serai… » au contraire arrogant. On est dans un « non temps », ou plutôt un « tout temps », une sorte d’affirmation d’un état, d’un statut, d’une identité. Car ce qu’on entend derrière inconsciemment, c’est la locution habituelle « moi + nom » (Moi François Hollande, je déclare que… ), et qui pose une équivalence : François Hollande = président. L’absence de mot grammatical pour unir les deux propositions (« Moi président…/les ministres ne pourront pas… »), qu’on appelle corrélation, pose un lien logique, donné comme imparable, sans le définir réellement. Répétée quinze fois, l’anaphore fabrique enfin un rythme qui sidère et réduit l’adversaire au silence. Dispositif entièrement maîtrisé par le locuteur ? Certainement pas. Il n’empêche : c’est là , sur le terrain de l’éloquence, qu’il a remporté l’élection.
Catherine Rosane