François Hollande a vécu un début de quinquennat que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de douloureusement prophétique : le  15 mai 2012, jour de sa nomination, il descendait les Champs-Elysées sous une pluie battante ; quelques heures plus tard, le Falcon présidentiel l’amenant en Allemagne pour sa première visite officielle était touché par la foudre, l’obligeant à un aller-retour en catastrophe à l’aéroport de Villacoublay. De manière générale, l’image de président normal qu’il cherchait à imprimer ne prenait pas dans une opinion qui jugeait incongrue l’idée d’un président soumis – comme tous – aux aléas ferroviaires de la SNCF.
Le portrait officiel – marqueur temporel et symbolique fondamental d’un début de mandat – devait donc servir d’instrument de communication fort, fédérateur, rassemblant. Et pourtant, rarement aura-t-on recensé autant de critiques – artistiques, politiques, idéologiques – à l’égard d’une photographie qui devait orner les murs de toutes les mairies et écoles de France.
Depardon, un choix symbolique fort
L’analyse du portrait de François Hollande commence avant même la production de ladite photo. Si tout est politique et signifiant lorsque l’on manie la parole publique au plus haut niveau, le choix d’un photographe ne peut échapper à la règle (on se rappelle notamment du choix déjà très people de Nicolas Sarkozy qui avait confié cette mission à Philippe Warrin, photographe de Paris Match connu pour ses clichés de la Star Academy).
Car si Raymond Depardon est l’un des photographes français les plus réputés d’aujourd’hui, il est l’anti-people absolu : issu d’un milieu populaire dont il se revendique, son œuvre documente le patrimoine français – autant rural (la trilogie Profils Paysans) que citoyen et judiciaire (Urgences, Faits Divers, 10e chambre) – et global – l’Afrique notamment, de ses premiers pas de photographe au moment de la guerre d’Algérie au monumental Afriques comment ça va avec la douleur ?.
La tradition de la rupture
Le premier niveau d’analyse d’un portrait présidentiel est bien sûr la comparaison avec celui de ses prédécesseurs. Ici, François Hollande se devait de jouer la rupture avec trois figures majeures : François Mitterrand, père spirituel d’une gauche dont il avait été le premier – et seul avant le 6 mai 2012 – président de la Vème République ; Jacques Chirac, dont le vécu politique qu’il partage avec François Hollande amène à de nombreux – bien qu’indirects – rapprochements ; et bien évidemment Nicolas Sarkozy, président sortant auquel il succède et envers lequel il se pose « en réaction ».
Ce faisant, il s’inscrit parfaitement dans cette tradition voulant que ce cliché ô combien symbolique soit une réponse en rupture avec la production passée.
La rupture avec la photographie « cultivée » et « intellectuelle » d’un François Mitterrand lisant les Essais de Montaigne dans la bibliothèque de l’Elysée est quasiment totale : l’un est debout et en mouvement quand l’autre est assis, l’intérieur de l’Elysée contraste avec les jardins du portrait de Depardon… Même les photographes s’opposent : Gisèle Freund, portraitiste phare de l’intelligentsia française, et Depardon, grand documentariste de la « chose populaire » qui déclarait: « Je ne suis pas un portraitiste, le portrait est quelque chose de difficile ».
Avec Jacques Chirac, la rupture est plus fine, et l’on sait qu’une certaine et complexe « filiation » existe entre les deux Corréziens. Hollande reprend d’ailleurs l’innovation majeure de son prédécesseur, à savoir de poser en extérieur, dans les jardins de l’Elysée. Mais là où Chirac apparaissait immobile, les mains derrière le dos, laissant transparaître un sourire de satisfaction et un sentiment de « travail accompli » (là aussi assez prophétique lorsque l’on sait que ses deux mandats ont été marqués par un certain immobilisme), Hollande est en mouvement. De même Hollande laisse-t-il à l’Elysée la plus grande place du cliché, quand Chirac constituait véritablement le premier-plan.
Enfin, on l’a vu, la différence avec Nicolas Sarkozy se devait d’être nette et radicale car c’est en partie en réaction à la politique et la personnalité de cet « hyperprésident » que François Hollande doit sa victoire (l’on se rappelle notamment de l’idée de « référendum anti-Sarkozy » avancée par bon nombre d’analystes pour expliquer le résultat du 6 mai). Une fois de plus, la rupture vient de ces oppositions intérieur/extérieur de l’Elysée, portrait droit et posé pour Sarkozy (quasi représentation picturale de monarque)/portrait en mouvement pour Hollande ; mais l’on sent également la différence dans le choix du photographe transpirer du portrait de Depardon : avec cette photo simple, peu retouchée, au format carré rendant hommage à la photographie amateur, l’artiste vient ici appuyer une stratégie de communication dont il produit l’un des outils fondamentaux.
Un outil de communication plus qu’un objet esthétique
Car il ne faut pas l’oublier : un portrait présidentiel est un exercice à la fois très institutionnalisé (et donc balisé), et un formidable outil de communication politique. L’artiste a donc peu de marge de manœuvre, simple artisan et metteur en scène d’une symbolique décidée en amont.
Les symboles sont d’ailleurs simples, et bien servis par la photographie :
Une certaine idée de la simplicité, illustrée par la distance que François Hollande prend avec l’Elysée, son absence de « pose » véritable, ses bras ballants et son corps légèrement penché laissant apparaître une humilité tendant à la vulnérabilité. Le format carré utilisé par Depardon, premier photographe à l’utiliser pour un tel portrait, est un hommage à la photographie amateur. En outre, l’on peut penser que la surexposition de l’arrière-plan – erreur basique en photographie – est volontaire, mettant en avant l’Elysée et permettant un effacement et une désacralisation de la personne du chef de l’Etat. Sa présence au premier-plan n’est que factuelle, tous les symboles cherchant à minimiser sa présence.
Le mouvement. On le sait, Depardon a photographié François Hollande en marchant. Le résultat est une image dynamique, rompant avec la critique de « mollesse » à l’encontre de celui qui est devenu président.
La clarté. L’éclairage est simple, à la limite du naturel ; l’image est peu retouchée. Cette luminosité apporte une impression de clarté, de sérénité même, sérénité que l’on retrouve dans le visage ouvert et naturel du président (une fois de plus, très peu « posé »).
Cette symbolique simple et claire vient donc servir et soutenir une stratégie de la normalité amorcée pendant la campagne présidentielle. Pour raisonner en termes publicitaires, le brief était celui du « président normal », le résultat est donc une création photographique « normale ».
Les raisons d’une mauvaise réception
Première d’une longue série de « résistances » à la communication présidentielle, le cliché de Depardon est très critiqué, tant par l’opposition que par les professionnels de la photographie et, surtout, dans l’opinion. Le faisceau de raisons à cette mauvaise réception est varié et complexe.
Tout d’abord, il s’agit de la première fois qu’un portrait présidentiel se retrouve à passer devant ce jury « populaire et instantané » des réseaux sociaux. En effet, les photographies précédentes avaient été présentées à une « époque » où les réseaux sociaux n’étaient pas encore matures en France, et ne permettaient pas ce retour – et ces détournements – instantané. Révélée sur la page Facebook de l’Elysée avant même sa publication officielle, l’image s’est retrouvée détournée, découpée, caricaturée en quelques heures, passant ainsi au statut de meme. Tout l’opposé de la réaction – et du rassemblement – souhaitée par la communication élyséenne.
D’autre part, Depardon est avec cette photo le paradoxal inventeur du mouvement statique : la note d’intention est pertinente et louable, mais la réalisation peut prêter à confusion. Et une partie de l’opinion d’y voir plus une position inconfortable et gênante – tant pour le « photographié » que pour le « spectateur » – qu’un véritable mouvement vers l’avant. Ses bras ballants semblent l’encombrer et renforcent cette impression. Avec ce cliché, Depardon et Hollande jouent avec la ténue et dangereuse ligne séparant normalité et banalité.
De même, beaucoup de professionnels soulignent des erreurs techniques basiques : la surexposition de l’arrière-plan – évoquée précédemment – un certain flou, un cadrage hasardeux – et un format carré inédit –, le tout formant un hommage parfois perçu comme bancal et incongru à la photographie amateur.
Autre confusion – à l’origine d’une controverse importante – provoquée par la photographie, celle concernant le drapeau français : disposé à la verticale tel un kakemono japonais, on peut le confondre avec celui des Pays-Bas, d’autant que contrairement à la tradition il n’est pas « accroché » ni « flottant » mais bien « posé » sur l’Elysée. Certains membres de l’opposition iront même jusqu’à demander le retrait et le remplacement de la photographie.
Peut-on aller jusqu’à penser que ce cliché est un « ratage volontaire », comme l’affirmait Pascal Ordonneau dans sa tribune publiée sur le site Atlantico le 10 juin 2012 ? Ce qui est certain, c’est qu’en surjouant la normalité et le changement, François Hollande a provoqué la confusion au sein de l’opinion, et ainsi offert un terrain de critique idéal à l’opposition, et ce dès l’entame de son mandat.
Paul Grunelius