Alors que son court-métrage Histoire de Mortimer (avec Christian Gonon de la Comédie Française) vient d’obtenir le prix du Public du Festival Silence on court, nous vous proposons une rencontre avec Benjamin Kühn. Ce jeune réalisateur définit son cinéma comme une réponse à un impératif de « raconter une histoire » : un geste artistique aussi « inutile » que « nécessaire ».
Parlez-nous de la genèse de Histoire de Mortimer…Histoire de Mortimer c’est un court-métrage qui est né alors que j’essayais de réaliser un long, Les Assommeurs. J’avais écrit un scénario, tourné un teaser et je commençais à développer le projet avec la société de production Epix Studio. Mais le manque d’argent aidant, le producteur Boris Antona et moi-même avons eu l’idée de faire un court-métrage. Et c’est là que l’idée de Mortimer a germée… Je l’ai écrit très vite. Comme une évidence.
Est donc apparu Mortimer – d’après un récit présent dans l’essai De l’amour de Stendhal – l’histoire d’un mineur qui s’éprend d’une petite parisienne et dont l’existence entière sera inexorablement tourmentée par cet amour…
Oui. J’ai surtout essayé de travailler sur la question du souvenir, de la hantise. Essayer de créer un personnage qui soit marqué – et de façon définitive – par une promesse de bonheur manqué. Ce qui m’intéressait c’était de capter un désir qui se fige, un personnage qui attend quelqu’un qui est déjà parti. C’est ça, Histoire de Mortimer.
Votre premier court-métrage, Mademoiselle Apocalypse, a été tourné en noir et blanc. Histoire de Mortimer a lui été réalisé en Super 8. Privilégiez-vous l’esthétique à la narration ?
Absolument pas. Ce qui importe pour moi dans un film c’est de raconter une histoire qui me touche. De créer une expérience sensorielle pour immerger le spectateur dans cette histoire. Qu’il y soit mon invité. L’esthétique s’impose en fonction de cette narration. Elle est à son service, il faut donc qu’elle soit la plus juste possible. Dans Mortimer par exemple je refusais de créer une « belle image » selon les standards actuels de la télévision et de la publicité. J’ai choisi le Super 8 pour le décalage qu’il peut apporter, pour créer un « hors-temps » et amener du grain, du relief à l’écran. Au cinéma, j’aime travailler la matière : l’image, le son. J’accorde énormément d’importance à l’univers sonore, que je retravaille de façon maniaque en post-production. J’aime l’idée que le film ait un langage sonore et visuel propre. Pour raconter Histoire de Mortimer, j’avais besoin qu’il y a ait des creux, des imperfections, une sensation d’avoir saisi des moments fragiles, éphémères. Quelque chose proche de l’impressionnisme.
Faire du cinéma aujourd’hui à Paris, ça s’apprend comment, ça se pratique comment ?
Hormis mon option audiovisuel au lycée, je n’ai pas de formation technique ou théorique du cinéma. J’ai commencé à fabriquer des films d’animations quand j’étais gamin dans ma chambre avec une petite caméra-vidéo. Puis, l’envie grandissant, j’ai fait un long métrage avec des amis l’été de mes seize ans. Le tournage a été catastrophique mais j’y ai tout de même trouvé ma vocation. A Paris, j’ai eu pas mal de la chance. D’abord, j’ai rencontré un producteur passionné, Boris Antona, qui a porté ce projet à bout de bras, puis une directrice de la photographie extrêmement exigeante, Karine Feuillard, qui a relevé le défi technique que représente un tournage professionnel en 8mm et qui a concrètement « fabriqué » le film avec moi. Ce n’était pas facile, loin de là , mais j’ai eu la chance d’avoir une vraie équipe de techniciens expérimentés pour me suivre. Tous bénévoles. Et tant bien que mal, j’ai réalisé Mortimer...
Tant bien que mal ?
Le film est un « film sauvage ». Nous n’avons pas reçu de subventions. Par manque d’argent nous avons tourné en trois ans, en nous battant pour le finir. Nous avons développé nos pellicules en Allemagne parce que c’était moins cher. Ce film a été une expérience passionnante mais épuisante, éprouvante. Quand on a pas d’argent pour faire un court métrage on est vite poussé à mettre l’exigence de côté, à tomber dans l’amateurisme et on finit par tourner au smartphone sans lumière et sans photo. La bataille a été de ne jamais tomber dans cette facilité, de continuer à y croire même en pensant parfois que jamais je ne terminerai Mortimer.
Vous êtes vous même comédien (formé au conservatoire du XIème arrondissement), quel rapport avez-vous à vos acteurs ?
C’est un avantage d’avoir une expérience de comédien car je les comprends bien et communique facilement avec eux.Mais je ne pense pas qu’il faille forcément savoir jouer pour bien diriger. L’essentiel pour moi, c’est d’aimer mes acteurs, d’être inspiré par eux. Ils sont une matière vivante d’émotion et viennent apporter leurs fragilités et leurs univers aux personnages.
Et à présent que la vie à l’écran de Mortimer commence, avez vous un prochain projet ?
Oui, j’aimerais arriver à écrire un rôle pour une femme. Dans toutes mes précédentes réalisations, les personnages principaux sont des hommes, de pauvres types amoureux jusqu’à l’obsession de jolies filles. J’aimerais arriver à mettre une femme au centre de mon scénario et qu’elle soit non un objet filmique mais un moteur narratif. Je suis un inconditionnel de Bergman et reste particulièrement admiratif des magnifiques rôles féminins qu’il a écrit pour ses actrices : Liv Ullman, Harriet Andersson…
Dans mes films je m’imagine toujours que le personnage principal a un secret, qu’il y a des histoires restées invisibles, que je suis seul à connaitre. Je ne les raconte même pas à mes acteurs ou à mon équipe technique mais ça détermine ma réalisation. J’aimerais arriver à trouver un secret qui soit juste pour un rôle féminin.
Propos recueillis par Agathe Charnet
Visionner le court-métrage Mademoiselle Apocalypse, prix de la Cinémathèque de Toulouse 2008.