Socrate, comme chacun sait, chercha tant bien que mal à défendre la thèse de la réminiscence devant tout un tas de sophistes plus ou moins incrédules. C’est Platon qui l’a dit. Certes, on se souvient de l’aisance avec laquelle il parvient à faire se rappeler à un jeune esclave grec comment tracer le double d’un carré dans le Ménon (80d-86d). Mais, un très éminent helléniste du nom de Jorge-Luis Merghuez, après avoir retrouvé dans sa commode de salle de bain des fragments inédits de Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, jugés apocryphe par une partie du monde universitaire dans la mesure où Diogène Laërce n’aurait jamais confié des écrits aussi précieux à une simple commode de salle de bain (cf. l’article «Pourquoi Diogène Laërce n’aurait jamais confié des documents d’importance à une commode de salle de bain», du très controversé philologue Jean-Pierre Bayard, célèbre pour avoir retrouvé une partie inédite de l’Énéide dans son frigidaire), donc, je reprends, ce très éminent helléniste, accrédite la thèse selon laquelle Socrate n’aurait pas tout le temps eu cette légendaire aisance à la démonstration.
“Jorge-Luis Merguez, éminent helléniste, accrédite la thèse selon laquelle Socrate n’aurait pas tout le temps eu cette légendaire aisance à la démonstration”
Non seulement, il aurait été un bien piètre démonstrateur, mais il aurait essayé de nombreuses fois sa démonstration avec un cercle avant de s’apercevoir qu’il ferait mieux d’opter pour le carré (un article de Jacques Lucan, «Et si Socrate avait voulu tracer une sphère munie d’un cross-cap par transformation d’un plan projectif», nous invite à imaginer ce qu’il en aurait été si Socrate avait sacrifié à la topologie). Constatons par nous-même que la légendaire verve socratique, à ses premiers débuts, n’avait rien de bien impressionnant, et livrons un extrait de ce document inédit, tel qu’il est cité dans l’ouvrage de Jorge-Luis Merghuez, Comment tracer le double d’un cercle: les débuts de Socrate. Certes, on peut reprocher à cet article de réduire à peu de choses la sacro-sainte maïeutique, cependant, les documents sont formels, le Socrate de la démonstration du cercle est bien ridicule par rapport au Socrate si assuré de la démonstration du carré (cf. la conférence un peu daté du sémiocritique Umberto Barthès, intitulé «De la quadrature d’un cercle carré chez Socrate»).
Socrate -Mon cher Ménon, je vais te montrer ce qu’est que la réminiscence. Écoute-moi bien.
Ménon -Assurément, Socrate.
Socrate -Montre-moi n’importe qui dans le public, que je puisse te faire une démonstration sur lui.
Un jeune garçon -Pas moi.
Socrate -Tiens, ce jeune garçon qui m’a l’air bien enthousiaste.
Le jeune garçon -Et puis zut! L’autre laid à l’haleine fétide va encore me poser un tas de questions.
Socrate -Dis-moi donc, mon jeune garçon, est-ce que tu sais ce que c’est qu’un cercle?
Le jeune garçon -Oui, bien sûr que je le sais, mon vieux.
Socrate (se contenant) -Et que, dans un cercle de centre O, chaque point de ce cercle est situé à égale distance du centre O?
Le jeune garçon -Ben, heureusement.
Socrate (regardant dans ses notes, fait tomber quelques feuilles) -Ah, zut …
Ménon (ricanant) -Socrate, aurais-tu besoin d’un peu d’aide?
Socrate (remettant de l’ordre dans ses papiers) -Non, pas du tout.
Le jeune garçon -Est-ce que je peux y aller? j’ai pas que ça à faire, moi.
Ménon (en souriant) -Non, mon garçon, reste.
Socrate -Où j’en étais déjà? Ah, euh, oui… est-ce que tu sais ce que c’est qu’un cercle? Et que dans un cercle …
Le jeune garçon (l’interrompant) -J’ai comme l’impression que tu te répètes, mon vieux.
Socrate (à nouveau perdu dans ses pensées) -Eurêka!
Ménon -Quoi donc Socrate?
Socrate (l’air gêné) -Ah, euh, ah, je pensais avoir trouvé une solution à mon problème. Mais je pense que je me suis trompé.
Le jeune garçon (impatient) -Bon, ben on continuera ça une autre fois. Moi, je m’en vais.
“«Et si Socrate avait voulu tracer une sphère munie d’un cross-cap par transformation d’un plan projectif» nous invite à imaginer ce qu’il en aurait été si Socrate avait sacrifié à la topologie”
Sur cette dernière remarque des notes de Diogène Laërce, les critiques ont été abondantes. Certains y ont même vu une référence évidente au fameux «Platon, hélas, était malade» du Phédon, avançant que si le jeune garçon n’est finalement pas là lors de la résolution du problème de duplication du cercle qui préoccupe Socrate, c’est parce qu’il préfère rentrer chez lui parce qu’il est malade. Or, dans une thèse assez brillante, Alain Königsberg, docteur en médecine rompu à l’historiographie, démontre par “A+B” que ce jeune garçon avait une grippe carabinée et qu’il l’a transmise à Platon. À partir d’un argumentaire brillamment construit, où il démontre avec brio l’inanité des thèses précédentes, mettant un terme au débat qui avait fait rage sur une possible tuberculose ou dîner de famille chez sa belle-mère qui permettait de justifier jusqu’ici l’absence de Platon lors de l’exécution de Socrate (on avait retrouvé de la cigüe dans la nourriture de la belle-mère, ce qui accréditait la seconde thèse, celle d’un dîner de Platon chez sa belle-mère, au cours duquel il aurait subrepticement empoisonné cette dernière, pour des raisons qui nous sont encore obscures), l’éminent docteur pose les bases du problème.
Mais surtout, étant donné que l’ensemble de notes étudiés par Jorge-Luis Merghuez implique que Socrate s’y est repris à une dizaine de fois avant d’opter pour le carré dans sa démonstration, un cercle de linguistes viennois spécialisés dans l’épistémologie du carré (épistémologie quadratique, selon le terme) s’est empressé de montrer que le cercle avait une signification décisive. En effet, depuis tout petit, Socrate, qui était extrêmement laid, comme le rappelle sa condamnation à mort (décidée en raison de l’atteinte à la cité athénienne que pouvait provoquer «la laideur extrême de son visage pour la jeunesse athénienne» selon un très récent ouvrage de l’américain Allan Wilde, historien de la laideur, Why was he condemned to death?), n’a cessé de se passionner pour les formes géométriques. Et le carré, dans cette optique, serait bel et bien un recyclage de l’idée du cercle, comme le démontre la thèse extrêmement bien documentée de l’historienne Fred Vargaga, Le carré comme recyclage du cercle dans la dialectique éristique socratique.
Mais peut-être saviez vous déjà tout cela, l’auteur, et l’auteur s’en excuse par avance, dans la mesure où, c’est un simple bilan de considérations historiographiques qu’il prétend ici faire.
Note de lecture de Bustos Domecq