Fin du mois d’octobre : la période idéale pour dresser un bilan de l’activité littéraire en ébullition depuis fin août. À quelques jours des dernières sélections des prix littéraires, à une semaine de la remise du Grand Prix du Roman de l’Académie Française, je me propose de parler dans un premier temps de cette rentrée littéraire, de ses particularités, puis d’aborder le sujet brûlant des prix littéraires, leurs différences, leurs apports.
La rentrée littéraire
Elle est resserrée : 607 romans parus entre fin août et fin octobre. 404 romans français. C’est beaucoup et peu. Beaucoup : il faudrait quelques années pour tout lire. Comme toujours, des pépites littéraires sont perdues dans la masse, et c’est regrettable. Peu : le nombre de parutions est d’habitude plus élevé (la moyenne est de 676 livres pour la période 2005-2012). Un premier constat, donc : les éditeurs privilégient les valeurs sûres. On retrouve par exemple David Foenkinos, Fréderic Beigbeder, Olivier Adam, Grégoire Delacourt, Amélie Nothomb, Emmanuel Carrère…
Une nouveauté : beaucoup des auteurs phares de cette rentrée s’inspirent de personnages historiques qu’ils intègrent dans leurs romans. Une recette qui fonctionne. On retrouve Oona O’Neill et J.D. Salinger dans le nouveau Beigbeder (Oona & Salinger), Charlotte Salomon dans le nouveau roman de David Foenkinos (Charlotte), William Cody aka Buffalo Bill dans Tristesse de la terre d’Éric Vuillard, la Reine Aliénor d’Aquitaine dans Le roi disait que j’étais diable de Clara Dupont-Monod, les apôtres Paul et Luc dans le nouveau Carrère (Le Royaume) et Jean-Pierre Rassam, Claude Berri, Maurice Pialat, Brigitte Bardot, Jean-Louis Trintignant et j’en passe dans le nouveau roman de Christophe Donner (Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive). Christophe Donner explique très bien une des principales raisons : « Faire un livre sur Albert Durand m’est impossible. Ça ne déclenche rien chez moi, aucune émotion. Mais si j’écris le nom d’une personne qui existe, mon électrocardiogramme s’agite et c’est fabuleux ». Le premier roman d’Adrien Bosc, Constellation, présent dans les premières sélections de cinq grands prix littéraires (Goncourt, Renaudot, Interallié, Grand Prix du Roman de l’Académie Française, Flore) revient sur le crash du 27 octobre 1949, qui avait entrainé la mort des 37 passagers, dont le champion du monde de boxe Marcel Cedan et la violoniste Ginette Neveu. C’est donc une mode qui semble s’être imposée, sans concertation, on imagine. Cela donne des romans riches et intéressants (comme Le Royaume, Emmanuel Carrère) et des romans d’une poésie et d’une sensibilité peu communes (tel que Tristesse de la terre, Éric Vuillard).
Les prix littéraires
Octobre est le mois de transition. Toutes les listes ont déjà été rendues publiques, on doit cependant attendre quelques semaines pour connaitre les lauréats.
D’abord, revenons sur les principaux prix littéraires. Une particularité bien française : il en existe des dizaines et des dizaines. Faisons ainsi le tour des principaux prix.
Le Goncourt, le plus plébiscité. Il récompense « le meilleur ouvrage d’imagination en prose ». Il est créé en 1896, par le testament d’Edmond de Goncourt. Le premier prix est décerné en 1903. Il est aujourd’hui choisi par un jury composé de dix personnes et assure en moyenne 400 000 ventes. Le Renaudot est créé en 1925 par dix journalistes littéraires qui attendaient le résultat du Goncourt. Il est nommé ainsi en hommage à Théophraste Renaudot, considéré comme le premier journaliste français. On a l’habitude de dire qu’il récompense un « oublié » du Goncourt. Son jury, composé de dix membres, récompense un ouvrage au ton ou au style nouveau, il a par exemple récompensé Céline (Voyage au bout de la nuit, 1932), Aragon (Les beaux quartiers, 1936) et Perec (Les choses, 1965), pour ne citer que les plus connus. Aujourd’hui, il assure un peu plus de 200 000 ventes, soit presque moitié moins que le Goncourt. Le Femina est créé en 1904 pour protester contre le jury exclusivement masculin du Goncourt et l’attribution systématique du prix à des hommes. Le Femina se vend aujourd’hui en moyenne à 150 000 exemplaires. Le prix Interallié récompense normalement un roman écrit par un journaliste. Son jury est exclusivement composé de journalistes. Il assure environ 100 000 ventes au lauréat. Le prix Médicis, fondé en 1958, récompense un nouvel auteur ou un auteur pas encore connu. Le livre récompensé se vend à un peu moins de 50 000 exemplaires. On peut encore citer le prix Flore, créé par Fréderic Beigbeder, qui récompense un jeune talent dont le jury veut souligner le potentiel. Enfin, le Grand Prix du Roman de l’Académie Française récompense une œuvre originale publiée dans l’année en cours.
La plupart des prix affine leurs listes fin octobre avant d’annoncer le lauréat en novembre. Le Grand Prix du Roman de l’Académie Française ouvre comme à son habitude le bal : il annoncera son lauréat le 30 octobre. Suivront le Femina, le Médicis, le Renaudot et le Goncourt, et enfin le Décembre respectivement les 3, 4, 5 et 6 novembre. L’Interallié clôturera cette saison des prix littéraires.
Certains romans dont on parle déjà beaucoup méritent leurs succès. On pense au premier Roman de la jeune Frederika Amalia Finkelstein, L’Oubli, poignant récit qui interroge ce fameux « devoir de mémoire », présent dans les sélections du Flore et du Décembre, ou au nouveau roman d’Éric Reinhardt, L’Amour et les forêts, une œuvre fantastique entre réalité et fiction, nominé pour le Goncourt, le Renaudot et l’Interallié. Le nouveau roman de Grégoire Delacourt, beaucoup plus noir que ses précédents, est choisi par l’Académie Goncourt pour sa première sélection de septembre – il est écarté le 7 octobre. L’auteur signe un roman d’une sensibilité qu’on ne lui connaissait pas, sur la décadence d’une vie, sur la violence qui peut surgir des remords et des regrets. D’autres, moins médiatisés, ont été remarqué par les jurys, comme le nouveau roman de Jean-Marc Moura, La musique des illusions, perturbante immersion dans le XIXe siècle, racontant l’histoire d’une fille qui développe un don fantastique, celui de pouvoir reproduire tous les sons de la création ; ce roman que je conseille vivement figure dans la deuxième sélection du prix Renaudot.
On peut regretter cependant des oublis, comme le fabuleux roman de Denis Michelis, La chance que tu as, véritable conte contemporain qui interroge d’une façon nouvelle les conditions de liberté dans une société de plus en plus exigeante. On regrette surtout qu’un livre comme Merci pour ce moment, de Valérie Trierweiler s’arrache très certainement plus que s’arrachera le prochain Goncourt (plus de 400 000 exemplaires déjà écoulés).
Si la rentrée est un évènement littéraire majeur, il faut je pense tenter de la voir comme un démarrage, la mise en marche du moteur, et faire en sorte que le livre soit mis à l’honneur toute l’année. Pas seulement en automne. Il faut finalement retenir cette phrase de Bernard de Fallois, grand éditeur français : « Les prix littéraires sont à la littérature ce que les bals du 14 juillet sont à la danse ».
On attend tout de même que les jurys décernent leurs prix littéraires à des romans qui le méritent. À en juger par les récentes sélections et par les lauréats de l’année dernière (Pierre Lemaître avec Au-revoir là-haut, Yann Moix avec Naissance, Leonora Milano avec La saison de l’ombre…), on se dit qu’on peut leur faire confiance.
Edgar Dubourg