PROFONDEURCHAMPS

Avez-vous «déjà vu» ?

 

Hypothèse inédite sur un phénomène bien connu

Les hypothèses concernant le phénomène de «déjà vu» vont bon train. Trop bon train. Il est donc temps d’y voir un peu plus clair. Par ailleurs, il est tout à fait possible que vous ayez déjà vous-même expérimenté ce curieux phénomène de paramnésie passagère. Vous faites alors partie de ces quelques soixante-dix pourcent de la population qui peuvent attester avoir déjà éprouvé au moins une fois ce type de sensation, la sensation étrange d’avoir «déjà vu» ce qui se déroule pourtant en ce moment-même sous vos yeux… déjà vu ce qui se déroule en ce moment même sous vos yeux. Vous faites donc partie de ces six personnes sur dix qui se sentiront nécessairement interpellées par ce que cet article se propose de faire. Vous faites ainsi partie de ces trois personnes sur cinq qui se rueront sur ce résumé aussi éclairant que possible de la complexe théorie du docteur Matanasius eu égard au phénomène de «déjà vu».

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Exit les théories paranormales et autres interprétations plus ou moins magico-alchimisto-kabbalisto-mystico-spiritualistes ? Oui. Fantasque, la théorie avancée par le très savant docteur Matanasius ? Que nenni ! Dans son article désormais incontournable «Les extraterrestres m’ont enlevé dans mon jardin, m’ont bastonné avec des poireaux, m’ont cloné et m’ont remplacé», injustement conspué par le cercle des esthètes zététiciens yougoslaves -dans la mesure où ces derniers se refuse catégoriquement à admettre que les extraterrestres, êtres d’un goût évidemment bien supérieur aux nôtre, puissent avoir le mauvais goût de cloner un échantillon humain aussi hideux que le «certes très éminent» docteur (cf. «Docteur Matanasius n’a rien d’un playboy»). En effet, dans cet article qui fait sans aucun doute date, qu’il cite des pages entières du journal qu’il tenait à l’époque ou qu’il s’évertue à en tirer des conclusions troublantes, il fait table rase de tout ce qui s’est dit sur la question pour avancer une théorie tout à fait inédite. Fi de Bergson et fi de la neuroscience.

Vendredi 13 septembre. Rien.
Samedi 14 septembre. Rien.
Dimanche 15 septembre. Toujours rien.
Lundi 16 septembre. Encore rien. Comme une impression de «déjà vu»…
Mardi 17 septembre. Une soucoupe vient de se poser dans mon jardin.
Mercredi 18 septembre. J’ai invité un de ses occupants à venir prendre une tasse de thé.

Le journal reste étonnamment silencieux pendant les trois semaines qui suivent, certaines mauvaises langues estiment que le docteur serait tout simplement parti se la couler douce aux Bahamas alors que celui affirme avoir été enlevé par les extraterrestres et cloné contre son gré après avoir été bastonné avec des légumes de son potager. Il justifie tout de même avec brio son curieux bronzage dans une apologie étonnante éditée par le magazine Science et vie extraterrestre : «Les extraterrestres m’ont mis de l’auto-bronzant».

Octobre. Des sensations étranges de «déjà vu» depuis que je me suis retrouvé dans mon jardin, inconscient, un caleçon vert à pois rouge pour unique vêtement, des brocolis dans les narines. Ne me suis-je pas déjà retrouvé dans cette situation? La dernière chose dont je me souviens. Avoir proposé une tasse de de thé à l’immonde extraterrestre qui stationnait dans la soucoupe posé dans mon jardin. Un peu pour plaisanter. Ce même extraterrestre immonde se ruait sur moi en éructant un borborygme étrange, dont je me souviens maintenant à peu près : «Paaaadesukreuh, siouplééé». Étrange.

Certains exégètes, du nombre restreint de ses détracteurs, affirment que non seulement cette rencontre du troisième type serait le fruit de son imagination exubérante, mais qu’en plus il verserait d’autres substances, plus ou moins illicites, dans la composition du breuvage hallucinogène qu’il s’obstine à appeler du nom de «thé».

Janvier. Année suivante. Eurêka! J’ai compris. Les extraterrestres ne m’ont pas simplement enlevé pendant ces trois semaines. Ils m’ont cloné. D’où cette étrange impression de familiarité dans toutes les situations où je me suis trouvé. Mon moi biologique capturé, et sans doute lobotomisé, qu’importe la distance, serait en connection avec le moi cloné qui est retourné sur terre. Ah, je comprends bien mieux la fameuse histoire des jumeaux de Newton. Nous sommes connectés.

Outre le fait qu’il n’existe pas de fameuse histoire des jumeaux de Newton, ce qu’on peut attribuer aux fréquentes étourderies de notre savant, on ne saisit pas encore bien toute la finesse de cette observation pourtant assez évidemment frappée au coin du bon sens.

Ainsi donc, le docteur Matanasius expliquait-il à ses auditeurs, dans une émission télévisée assez récente, que son jumeau biologique expérimentait les choses à sa place sur terre mais qu’un lien les unissait qui produisait cette sensation de «déjà vu». Eh bien, fi des obscurantistes, nous aurions un jumeau (nous-même) enlevé par les extraterrestres après clonage de notre personne. Actuellement, le docteur Matanasius est toujours à la recherche de lui-même, prêt à construire une fusée pour se retrouver sur la lune (s’il le faut), sitôt après être entré en contact télépathique avec son alter ego biologique au cours d’une séance de spiritualisme extraterrestre. Mais sa dérangeante théorie va encore plus loin, puisque Matanasius l’applique désormais à l’ensemble des gens sur terre ayant éprouvé un sentiment de «déjà vu», des gens selon lui capturés par les extraterrestres dans leur enfance et ayant à rétablir d’urgence un contact avec leur alter ego biologique par contact télépathique. Aussi, l’auteur a-t-il pris la liberté de contacter le-dit docteur afin de retrouver son propre alter ego biologique dans les confins glacés et hostiles de l’espace intersidéral. Pour l’instant, ce dernier est sans réponse. Le docteur Matanasius aurait-il été enlevé et cloné pour la seconde fois ? Nous attendons avec impatience son explication du phénomène de «déjà déjà vu».

Mais peut-être saviez-vous déjà tout cela, et l’auteur s’en excuse par avance, dans la mesure où c’est un simple bilan de considérations paramnésiques qu’il prétend ici faire.

Note de Bustos Domecq