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Le Festival du Nouveau Théâtre Populaire : « Nous sommes acteurs de notre propre désir artistique »

Rencontre avec Julien Campani et Léo Cohen-Paperman, membres fondateurs du Nouveau Théâtre Populaire.

Il y a six ans de cela, une dizaine de jeunes comédiens et metteurs en scène issus de grandes écoles de théâtre claquaient la porte du Festival Off d’Avignon pour se réunir quelque part dans le Maine-et-Loire, à Fontaine-Guérin. Dans le jardin incliné d’une grand-mère bienveillante, face au clocher du village, s’est construit un drôle de plateau en bois éclairé de deux projecteurs, surnommé « le plateau Jean Vilar ». Après une session-éclair de répétitions voici que Le Misanthrope, Roméo et Juliette et un spectacles jeune public étaient joués en plein air devant quelques huit cent spectateurs du coin. Le Nouveau Théâtre Populaire (NTP) était né. En août 2014, c’est plus de 6500 spectateurs qui se réunissaient au prix – tout démocratique – de 5 euros la place pour assister à la création débridée de six pièces tirées du répertoire.

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Alors que les dix-neuf membres du NTP viennent de voter la programmation de leur prochaine saison estivale, Profondeur de Champs a rencontré Julien Campani (comédien) et Léo Cohen-Paperman (metteur en scène), qui comptent parmi les membres fondateurs de ce joyeux chaos où l’on cultive avec rigueur la volonté néo-vilarienne « d’amener le théâtre là où il n’est pas ».

Profondeur de Champs : Comment et pourquoi de jeunes artistes de vingt ans, sortant des écoles d’art dramatique les plus prestigieuses de France (Ecole du Théâtre National de Strasbourg, Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique etc) ont été amenés à créer leur propre festival ?

Après avoir enchainé les festivals d’Avignon Off durant plusieurs années, nous avons eu l’envie d’avoir un espace à nous. Un espace hors du « grand supermarché du spectacle », où il était possible d’explorer sans mesure le répertoire, de laisser libre cours à nos désirs de création, de ne plus être cantonnés au « format Avignon » (de façon habituelle, les spectacles programmés au Off durent de cinquante minutes à une heure trente maximum – NDR). Il s’agissait également non pas de chercher un nouveau public mais d’amener le théâtre à un nouveau public. De tenter de créer un rapport de compagnonnage avec le spectateur, un théâtre décentralisé dans une ligne d’inspiration directement vilarienne. Le lieu, son charme, sa spécificité, permet d’ailleurs de donner une forte identité à nos créations. Nous avons voulu nous dépouiller de l’effet, revenir aux bases de notre métier : un plateau nu, en plein air, un acteur, un texte.

Comment fonctionne le Nouveau Théâtre Populaire ?

Nous avons fait le choix d’envisager notre équipe de façon strictement démocratique, toutes les décisions sont prise en commun : il n’y a pas de chef de troupe ou de directeur artistique. Nous nous réunissons de façon mensuelle et chacun est libre de proposer un projet de mise en scène que nous soumettons à un vote. De la même façon, tous les membres de l’équipe sont payés de la même manière, nous refusons l’autocratie qui peut parfois sévir dans les troupes.
La ligne artistique du NTP repose paradoxalement dans sa dimension hétérogène. Les créations sont issus d’univers très différents et les comédiens s’impliquent collectivement dans la mise en scène. De cet éclectisme apparent nait alors la cohérence du festival.

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Cet été vous avez créé six spectacles en seulement trois semaines de répétitions et en vous attaquant à des monstres du répertoire (Tchekhov, Shakespeare, Brecht…) Comment expliquez-vous ce pari audacieux ?

Il y a une volonté de démesure, d’accumulation au sein du NTP. Nous souhaitons tester le plus de choses possibles, explorer le répertoire tout en faisant exploser dans tous les sens nos expériences de comédiens. Il arrive parfois aux metteurs en scène traditionnels de « trop répéter », de tourner en rond. Au contraire, au NTP, nous ne recherchons pas la perfection du moment mais l’appétit du théâtre. Nous sommes plus proche du démiurge Balzacien que de la minutie de Flaubert ! Une de nos spectatrices nous a dit cet été en parlant de nos pièces : « il faut tout voir pour tout comprendre ». C’est exactement de cela qu’il s’agit. Nous envisageons nos créations comme une seule et même expérience.

Cette avidité de tout explorer en si peu de temps, n’est-elle pas aussi une réponse du théâtre à la crise ?

Surement, cette rapidité témoigne aussi d’une urgence. Quand nous avons commencé le festival nous n’avions pas de temps, pas les moyens mais nous l’avons fait quand même. Il s’agit de sortir des paralysies de l’institution et de recréer une communauté de spectateurs. Rompre à la fois avec le confort du théâtre institutionnalisé mais aussi avec l’extrême violence et la précarité du milieu théâtral actuel. En tant que comédien on est tributaire du désir du metteur en scène, cette fois-ci nous sommes acteurs de notre propre désir artistique.
Lorsque nous avons commencé à obtenir des subventions du Ministère ou du département, nous avons ressenti une reconnaissance non pas de diffusion mais d’infusion, d’avoir réussi à implanter le théâtre, notre théâtre, dans ce lieu là. Et c’est à ce lieu que nous sommes attachés et nos spectacles sont conçus en fonction de lui. S’il nous fallait organiser une tournée pour un spectacle « en intérieur » nous créerions sans doute des formes très différentes.

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Vous venez de voter la programmation de l’édition 2015 du festival, quels sont vos projets à venir ? Comptez-vous proposer de nouveaux textes, hors du répertoire classique ?

2015 marque le début d’un projet – inédit au NTP – d’écriture collective qui portera sur la Cinquième République. Il s’agira de choisir pour chaque présidence un événement marquant, et d’interroger théâtralement la modification de la parole politique au fil des mandats. Nous axerons également nos recherches sur l’incarnation présidentielle. Le spectacle sera à l’affiche aux côtés d’Oedipe-Roi et Oedipe à Colone de Sophocle où le choeur sera joué par des spectateurs bénévoles. De la même façon que notre Cerisaie, créée en 2014, était un spectacle itinérant, où les spectateurs dansaient, déambulaient dans le jardin nous voulons que la participation du public soit la plus développée possible. Comme l’a souligné Olivier Py, le spectacle vivant connait en effet une révolution en ce qu’il est le dernier endroit où l’on voit les gens « en vrai ». Alors qu’il a été durant deux mille ans le terrain honni de l’illusion voici qu’il est aujourd’hui un archaïsme attractif où on peut avoir un rapport direct, à la chair, au corps. Il n’est ni téléchargeable, ni podcastable. Il y a une vérité tangible au théâtre. Telle est notre démarche. Nous n’avons pas de responsable des relations avec le public. Nous venons à sa rencontre et au NTP il n’y a aucun intermédiaire dans le dialogue entre l’artiste et le spectateur.

Vous avez choisi pour nom, « Nouveau » Théâtre Populaire. Comment envisagez-vous justement cette nouvelle génération de jeunes artistes que vous représentez ? (les membres de la troupe ont majoritairement entre 25 et 30 ans)

Nous nous considérons sans complaisance ni passivité. Nous savons que nous serons sans doute moins riches que nos parents mais nous avons la chance de pouvoir inventer avec davantage de discernement qu’eux, car moins encombrés d’idéologies diverses. Nous sommes nés à la chute du mur, sommes marqués par le 11 septembre et l’ébranlement du capitalisme. Nous avons le sentiment d’être à la fin d’une ère et au début d’une autre. Et nous avons espoir. Nous croyons au collectif, à la création, à un idéal de révolution permanente dans notre art, à l’initiative. Au NTP, nous sommes les garde-fous des uns des autres et nous comptons sur tous pour ne pas nous endormir.

Propos recueillis par Agathe Charnet.

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