En réalité, James Murphy ne s’est jamais lui-même considéré comme un grand songwriter. Mais il est devenu un grand artiste. Il a créé, porté et mené jusqu’à maturité l’un des plus beaux projets musicaux du début du siècle, LCD Soundsystem. Ne vous méprenez pas : on ne parle pas vraiment de MonsieurToutLeMonde. Murphy est une encyclopédie musicale. Depuis bientôt 20 ans, il produit (The Rapture, Tiga), mixe et compose. Ingénieur du son, c’est un spécialiste. Il a touché à tout, goûté à tout ; il a tout écouté. Un geek sans doute. Mais si le geek musical est aujourd’hui commun avec Internet, il l’était moins il y a quinze ans : ce geek était souvent un obscur DJ ou un critique passionné. C’est d’ailleurs plus ou moins l’inspiration des multiples hipsters tentant aujourd’hui de percer parmi la masse avec plus ou moins de succès. Murphy, lui, a cru en ce qu’il était et en ce qu’il aimait ; il a ramé, il a vieilli mais le geek de studios pourtant peu charismatique a fini par gagner, construisant ses premiers succès justement sur cette sensation mélancolique du vieux dépassé et sur un style faussement brouillon et verni à souhait. Sans vraiment avoir le physique ni le caractère pour l’emploi, il est devenu un meneur, un leader, un exemple. Et à 41 ans, sa biographie indique la création de son propre label DFA Records mais surtout la menée au sommet de son bébé, LCD Soundsystem.
LCD Soundsystem, c’est une création indéfinissable apparue sur l’échiquier de manière tonitruante en 2002 avec I’m Losing My Edge. C’est avant tout le bijou d’un seul homme qui se penche sur le moindre détail de ses albums (LCD Soundsystem en 2005, Sound of Silver en 2007, This Is Happening en 2010). James Murphy est un monarque : il ne laisse de place à personne pour la prise de décisions (il écrit, enregistre et chante tout) ; LCD Soundsystem n’est pas une démocratie. Néanmoins, le projet solitaire se meut en live en un collectif où chacun apporte son énergie. Murphy ne pourrait créer un tel effet seul sur scène : il a le mérite de le reconnaître et d’agir en conséquence. Du coup ça rend bien : d’une manière assez similaire d’ailleurs à Arcade Fire, ils sont beaucoup, ils sont heureux et ils transmettent (une attitude toujours irréprochable à chaque prestation: on en trouve peu encore aujourd’hui) autour d’un leader illuminé. Réputés et confirmés grandioses en concert, ils attirent. Observer les fans de LCD Soundsystem serait sans doute une expérience intéressante : ils apparaîtraient… divers. Punks assagis ou fans de musique électronique touche-à-tout, rockeurs de club ou disco-boys modernes. Les masses attirées par les albums riches de Murphy ou par la promesse de prestations sincères et sans retenues sont variées. Elles sont variées parce que LCD Soundsystem est varié : je vous mets au défi de trouver une seule bonne critique sur le net parvenant à définir un style musical commun collant au genre des Américains (ou de l’Américain d’ailleurs). Dans chaque album de Murphy cohabitent des influences multiples, toujours identifiables mais jamais réellement délimitables, assez nombreuses pour en rendre toute énumération trop ennuyeuse ou rarement complète. Chaque live est un spectacle et un voyage, que l’on termine tous en sueur. Et c’est beau. Il/ils n’ont pas de limites : toute manipulation sonore nécessaire sera toujours réalisée pour toucher et affecter les corps. LCD Soundsystem est nourri de tout. Pourtant, James Murphy n’a jamais semblé perdre le fil conducteur. Il a maintenu une alchimie dynamique électro-punk (pour ne choisir que deux qualificatifs), enrichie de différents styles mais toujours très cohérente. Se pencher sur tant de possibles chemins à la fois était risqué : semblant parfois partir dans tous les sens, LCD Soundsystem est néanmoins toujours resté fidèle à sa ligne de conduite. Certes, ce n’est pas l’unique projet musical porté sur le mélange de styles multiples : the Who, Supertramp ou New Order dans le passé, Radiohead durant les années 2000 sont tous des classiques. Pourtant, le souffle semble être différent, en plus d’être moins rock ; LCD Soundsystem surfe sur la vague façonnée par ces monstres et amène une fraîcheur nouvelle probablement offerte par l’apport électronique bien plus marqué. James Murphy, s’il ne perd jamais de vue une structure éloignée à priori des tubes house ou dance, n’a pas peur de faire de l’électro (Tribulations, Someone Great, Get Innocuous). Et s’il a toujours créé de la musique indé, il n’a pas peur de séduire le public large, de faire danser (Drunk Girls, Daft Punk Is Playing At My House). L’américain tient son rang parmi les perles multi-influences écloses durant la deuxième moitié des années 2000, en chef de file devant Hot Chip, les Klaxons ou plus récemment the Shoes. D’ailleurs, il est l’un de ces artistes scrutés continuellement par les purs DJs ou créateurs électroniques : la plupart de ses chansons font l’objet de multiples remixes.