PROFONDEURCHAMPS

C’est l’Doudou, c’est l’mama

[caption id="attachment_482" align="aligncenter" width="517" caption=""El biète" - crédit: www.folklores.be"][/caption]

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Un montois ne l’est vraiment qu’une fois qu’il a assisté à son premier Doudou.

La ducasse de Mons, Chef-Lieu du Hainaut (province wallonne), fait partie des nombreuses liesses populaires qui ponctuent la vie de la Belgique, au même titre que le carnaval de Binche ou celui d’Alost. Elle est organisée tous les ans le week-end de la Trinité, soit à des dates très variables entre début mai et mi-juin, et a été en novembre 2005 proclamée comme patrimoine oral et immatériel de l’Humanité par l’Unesco.
Ceux qui font vraiment le Doudou festoient pendant presque une semaine. Ils sont là dès l’ouverture du premier bar à champagne et sont les derniers à quitter la Grand Place après le dernier feu d’artifice. La ville va vivre à leur rythme tout au long des festivités : elle dort entre 5 et 11 heures du matin et s’ébroue ensuite pour devenir plus vivante encore que la veille.
Le point central de la ducasse se déroule le dimanche de la Trinité. Après une messe dans la cathédrale de Sainte Waudru, sainte patronne de la ville, la châsse et les reliques qu’elle contient sont sorties sur le Car d’Or. Il est utilisé depuis 1740 et visible toute l’année dans l’enceinte de la cathédrale. Le jour de sa sortie, il est tiré par six chevaux de trait et accompagné des intervenants du combat du Lumeçon, ainsi que de représentants de diverses guildes d’artisans. Un prêtre et plusieurs enfants de chœur accompagneront les reliques.
La fin de cette procession est annoncée par la fébrilité qui gagne la foule peuplant les rues de la vieille ville. Une excitation soudaine saisit tous les présents d’une même impulsion. Soudain, c’est l’explosion : si le Car d’Or ne parvient pas à remonter la rampe de sainte Waudru, ruelle pavée et inclinée d’environ 20%, un grand malheur s’abattra sur la ville. D’un seul élan, ceux qui sont assez proches l’aident donc à remonter d’une seule traite. C’est avec une ardeur presque religieuse que les autres retiennent leur souffle puis s’exclament lorsqu’enfin ils apprennent qu’il a atteint le sommet.
L’énervement atteint alors un nouveau palier. On attend Saint Georges, habillé en jaune, rouge et noir et monté sur un cheval noir d’encre, pour qu’une fois de plus il terrasse le dragon – ‘el Biète’. La foule qui se masse autour de l’arène sur la Grand Place n’est plus qu’un même grondement. La chaleur augmente pour peu que brille le soleil et une légère bruine est la bienvenue. Pas de pluie. Ici, on vous dira qu’il ne pleut pas pendant le Lumeçon. L’air est moite, et le sable de l’arène vole un peu.
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Saint Georges a à sa disposition, pour vaincre, différentes armes. Une lance de combat, la lance inversée qui symbolise sa force sauvage, la lance noire et blanche, un sabre et un pistolet. A ses côtés on retrouve ses alliés naturels, les douze Chin-Chins (sorte d’hommes chiens) qui se battront contre les onze diables, immatures défenseurs du dragon armés de vessies de porc gonflées. Le corps du dragon est mis en mouvement par les Hommes Blancs, supposément invisibles, et sa queue par les Hommes de Feuilles. Le combat en lui-même est chorégraphié avec beaucoup de soin, et Saint Georges et le dragon tournent chacun dans un sens différent. Leurs alliés se croisent et s’emmêlent. L’air est presque irrespirable et on se presse de plus en plus près de l’arène, à la corde. Durant le combat, les Hommes de Feuilles abaissent en effet plusieurs fois la queue du dragon dans la foule. A chaque fois, une vague humaine se presse vers le point de chute ; comprimés les uns contre les autres il est à peine possible de continuer à respirer. Chacun tend vers un objectif commun : réussir à atteindre la queue du dragon pour en arracher un crin avant qu’elle ne se relève. Celui qui en porte un est accompagné par le bonheur jusqu’à la ducasse suivante.
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Lorsque tous les crins ont disparu, il est temps pour Saint Georges d’achever son œuvre. Lorsqu’après un cérémonial complexe le dragon s’écroule enfin, la foule laisse éclater sa joie. Aussi rapidement qu’elle s’était amassée, rendant la traversée de la place presque impossible, elle se disperse. Certains retrouvent leurs amis attablés aux mêmes tables que les années précédentes, d’autres se dirigent vers les échoppes provisoires dressées le long des rues pour se sustenter, et d’autres encore s’octroient une sieste avant de ressortir à la nuit tombée.

La sueur et la poussière collent à la peau. L’air est de nouveau plus respirable et il est possible de déambuler, de s’arrêter aux bars extérieurs pour s’offrir une bière ou un péquet aromatisé, ou encore d’acheter un collier tressé officiel du Doudou – aux couleurs de la ville de Mons. Dès le lundi, une braderie monstre se tiendra dans les rues de la ville pour l’instant encore remplies de badauds ravis. Partout résonnent les accords de la chanson du Doudou, dont on fredonne toujours les paroles plusieurs mois plus tard sans les comprendre tout à fait.
Le premier Doudou laisse dans la mémoire une empreinte indélébile, même s’il est difficile de comprendre pourquoi. La ducasse se déroule selon un cérémonial précis, toujours le même, mais chaque cru est différent. C’est peut-être parce que c’est une histoire de famille, une histoire d’ami, une histoire de fête. Ce qui est sûr, c’est que c’est une histoire de partage.
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Camille Point