Cycle d’interviews “Qu’est-ce qu’écrire ?“
L’un des maîtres actuels du polar américain, notamment connu pour sa série Dave Robicheaux, James Lee Burke (“Dans la brume électrique avec les morts confédérés“) a accepté de répondre à nos  questions.
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Pourriez-vous nous raconter comment la littérature est entrée dans votre vie ? Qu’est-ce qui vous a conduit vers l’écriture ? Vous rappelez-vous un premier désir d’écrire ?
Lorsque j’étais enfant, et que j’habitais à Houston (Texas), la « book mobile », une librairie ambulante, passait par notre rue une fois par semaine. C’est alors que je suis tombé amoureux de la série des « Hardy Boy » (une série de livre de jeunesse, créée par Edward Stratemeyer en 1927). Et vers le CM2 (5th grade), j’ai tenté d’écrire une première nouvelle pour le Saturday Evening Post. J’ai finalement été publié pour la première fois à 19 ans, et je n’ai jamais cessé d’écrire depuis, même si je n’ai pu commencer à en vivre que bien plus tard. 35 ans ont passé, durant lesquels j’ai exercé des métiers différents, dans l’industrie pétrolière, le journalisme, le social, ou comme enseignant, avant que je ne puisse vivre de mon travail d’auteur. Ces années m’en ont beaucoup appris sur la recherche d’un emploi… Beaucoup également sur les épreuves liées à la pauvreté, et sur les combats discrets de ceux qui n’ont pas de voix politique.
Quels types d’obstacles rencontre-t-on en tant qu’écrivain, notamment lorsque l’on n’est pas encore reconnu ? Faut-il aussi lutter contre un aspect de soi ?
Il est toujours difficile de voir son travail rejeté par exemple. Mais tel un champion de boxe, on apprend à ravaler son sang et à tenir les 15 rounds. On n’abandonne jamais, et notamment sa vision du monde. Lutter contre soi-même, est le chemin sûr vers une vie misérable, et la destruction de ses propres facultés créatrices.
Selon vous, peut-on vivre pour la lecture sans éprouver le besoin d’écrire, et peut-on écrire sans avoir été soi-même un lecteur ? Quels sont les écrivains que vous admirez le plus, qui vous ont accompagnés ?
A mes yeux, la lecture est la meilleure voie vers l’écriture. Un compositeur n’écoute-t-il jamais Liszt ou Chopin ? Les écrivains les plus importants pour moi sont, pêle-mêle : William Faulkner, James T. Farrell, Ernest Hemingway, Tennessee Williams, Eudora Welty, et Flannery O’Conner.
Dans quel état d’esprit avez-vous besoin d’être pour écrire ? Ecrivez-vous chaque jour ? Où écrivez-vous le mieux ?
Oui, j’écris chaque jour, et chaque nuit. Le texte, l’histoire, sont toujours avec moi, et je les reprends, et les retravaille en permanence. Je peux écrire partout, du moment que l’endroit est au calme.
Balzac a suivi, pendant de nombreuses années, un système particulier ; écrire de minuit à 8h du matin, prendre un bain et un petit déjeuner pendant une heure, écrire, passer dans l’après-midi quelques heures en visites reçues ou données, en correspondance, en mondanités, puis écrire de nouveau, dormir de 20h à minuit, et recommencer. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Chaque écrivain professionnel doit être un spartiate à sa manière, et un niveau de discipline de travail est nécessaire pour créer une œuvre d’art.
Vos livres sont profondément enracinés géographiquement (Louisiane, Montana), quelle place ces lieux prennent-il dans votre travail littéraire ? Sont-ils comparables à des personnages ?
Oui, j’ai été très fortement influencé par les naturalistes, et l’environnement – tant la société que la terre, la nature qui nous entoure – deviennent régulièrement dans mes livres des protagonistes, ou des antagonistes à part entière.
La Louisiane, où habite Dave Robicheaux (et vous même, une partie de l’année, à New Iberia), votre personnage principal, qui revient dans un grand nombre de vos livres, est sans doute le plus important de ces lieux. Comment percevez-vous la Louisiane aujourd’hui ?
C’était un Eden, qui est en train d’être détruit. Pour Dave Robicheaux, l’Etat de Louisiane est saisi en permanence entre la puissance d’un système politique corrompu et celle de l’industrie pétrochimique.
Lui-même est un Cajun (ou Acadien), qu’est-ce que l’identité cajun pour vous ?
Les Acadiens sont définis avant tout par le fait d’avoir été, de la France, au Canada, puis en Louisiane, un peuple persécuté, et Dave Robicheaux tente de donner une voix à leurs combats, à la fois passés et présents. Dave est comme la voix d’ « Everyman », le personnage de la pièce de théâtre morale anglaise du Moyen-Age (écrite au XVe siècle, d’auteur inconnu, ndlr).
Il est extrêmement méfiant, et plein de désillusion envers toute forme d’environnement institutionnel, envers l’Etat, et envers la société. Vos livres ont-ils pourtant une dimension politique ?
Ils sont politiques dans le sens où mes personnages n’ont aucune confiance en ceux qui recherchent l’autorité et le contrôle sur les autres.
Dave Robicheaux est infusé de sentiments religieux. La religion a-t-elle une importance dans votre écriture ?
Je ne pense pas que l’art doive faire de prosélytisme, mais je confesse que j’aie pu me rendre coupable de cela dans mon travail.
Pour vous de quoi dépend l’inspiration ? Dans quelle mesure ce que vous écrivez est-il lié à votre propre vie ?
L’art est fondé en fin de compte sur l’engagement de l’artiste dans le monde, sur sa connexion, quelle qu’elle soit, avec le monde. Robert Frost (poète américain, 1874-1963, ndlr), appelait cela « a lover’s quarrel with the world ». C’est pour moi la base de l’inspiration. La plus grande partie de mon travail est liée à mon expérience, à ma propre vie. Et si je peux ajouter quelque chose de certain : les défauts et les faiblesses de mes personnages sont dans l’ensemble les miens.
Comment choisissez-vous un sujet, est-ce un long processus ?
Non, j’ai le sentiment que l’histoire que je développe dans mes livres est déjà inscrite en moi, dans l’inconscient si l’on veut. Je ne revendique aucune reconnaissance personnelle pour celle-ci. Par ailleurs, si l’ancrage de mes livres dans le réel est un élément crucial de mon travail, je traite également beaucoup de présences invisibles, en lesquelles je crois. Dave Robicheaux, dans mes livres, est souvent visité, sous une forme différente, par l’idée de sa femme décédée.
Aujourd’hui, pourquoi écrivez-vous ?
Je ne peux imaginer de cesser d’écrire, je pense que je deviendrais fou. Lorsque je mourrai, j’emporterai cahiers et stylos dans la tombe.
Quelle est la valeur de la littérature en tant qu’art selon vous?
Tout art dramatique commence avec le mot et avec l’écriture. La valeur de celle-ci est souvent dénigrée aujourd’hui, mais le dénigrement vient souvent de ce que je décrirais comme une nouvelle forme de nihilistes de la culture.
Certains de vos livres, et notamment Dans La Brume Electrique, par Bertrand Tavernier, ont été adaptés au cinéma. Êtes-vous un cinéphile ?
Oui j’adore voir des films. Ma femme et moi avions l’habitude d’aller en voir 4 par semaine. Mais malheureusement, la qualité de l’industrie cinématographique américaine décline, très largement parce que, dans sa démarche de production, elle répond avant tout au désir de science fiction et d’images de synthèse des publics les plus jeunes.
Et quelle forme d’expression artistique vous touche le plus ?
La musique, la musique, et encore la musique.
Pour revenir au cinéma, et notamment à Dans La Brume Electrique, avez-vous participé à l’adaptation ? Avez-vous craint que l’adaptation soit dommageable au livre et regretté que la version ‘director’s cut’ du film ait tant peiné à être distribuée aux Etats-Unis ?
J’ai un peu travaillé avec Bertrand et le producteur Michael Fitzgerald, c’est une expérience enrichissante que j’ai beaucoup appréciée. Non, le livre et le film sont des entités entièrement différentes. Le succès ou l’échec de l’un n’a rien à voir avec le succès ou l’échec de l’autre. Je dois dire que Bertrand et Michael ont chacun été de vrais gentlemans, et ont donné au film leur meilleur effort. Un auteur ne peut rien demander de plus.
Enfin quels sont vos projets aujourd’hui ?
J’espère que le public l’appréciera, mon prochain livre, intitulé Creole Belle, paraîtra en juillet.P
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Propos recueillis et traduits de l’anglais (Etats-Unis) par Lucas Trottmann