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La critique de cin̩ma РEntretien avec J̩r̫me Momcilovic

Né en 1979, Jérôme Momcilovic est journaliste et critique de cinéma,  notamment au magazine Chronic’art depuis 2006.

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Quel regard posez-vous sur l’actuelle industrie de la presse française spécialisée en cinéma ?

En tant qu’« industrie », c’est un peu un champ de ruines, mais je ne vous apprends rien. C’est le fait, de toute façon, de toute la presse écrite. On est au milieu d’un grand vide, une situation de transition qui s’éternise : les titres « historiques » sont à la peine, principalement parce qu’ils ont subi de plein fouet la concurrence d’Internet, mais c’est une concurrence qui reste informe, qui n’a pas encore vraiment produit de nouveaux modèles. Quant à la critique elle-même, elle a déserté la presse, mais là non plus ce n’est pas vraiment un scoop. Et là aussi la situation est paradoxale : la critique semble à la fois partout et nulle part.

Voyez-vous des évolutions (de pratiques, de type d’écriture ou de publication), notamment avec l’arrivée d’internet ou des médias gratuits ?

Du côté des gratuits, pas spécialement, et d’ailleurs plus personne n’en parle aujourd’hui. La plupart de ces titres ne sont que le reflet, généralement en pire, de ce que fait déjà la presse à grand tirage. D’ailleurs à ce titre, le niveau parfois accablant de ce qui s’y écrit sur les films est assez révélateur du traitement réservé aujourd’hui à la critique cinéma. Je pense au gratuit « culturel » édité par la RATP, dont le contenu plutôt d’une bonne tenue générale à l’exception des textes sur les films, qui sont vraiment infâmes, particulièrement désinvoltes.

Du côté d’Internet, c’est indéniable, même s’il est encore probablement trop tôt pour connaître vraiment la nature de ce renouvellement. Une chose est sûre en tout cas : on aurait pu imaginer que la libération de la parole permise par le web allait révéler de nouvelles voix, nombreuses. On ne peut pas dire que ce soit vraiment le cas : les textes de qualités sont très rares. Mais ils existent. On trouve parfois sur certains blogs des textes d’une qualité nettement supérieure à ce que produit la presse écrite. Surtout les blogs ont eu un mérite, celui d’animer le débat cinéphile – les échanges qu’ils suscitent sont souvent plus constructifs que le contenu à proprement parler.

Et, dernière chose, le web a fait plus ou moins naître une nouvelle forme d’intervention sur les films, une forme de « critique de la critique », via les espaces de réaction aux textes. Évidemment, pour l’essentiel, cette veille est à l’image de ce que suscite le web : aigreur, invectives, commentaires affligeants. Mais là aussi on tombe parfois sur des choses intéressantes, salutaires parfois.

Tout le monde aujourd’hui donne son avis, plus ou moins éclairé, sur les forums, les blogs. Assiste-t-on à une « démocratisation » de la critique cinéma ?

La question, c’est : pourquoi devrait-elle se « démocratiser » ? Et pourquoi cette idée, qui est au diapason d’une forme très actuelle de populisme, que la critique « professionnelle » dépossèderait les gens de la légitimité de leurs goûts, qu’elle leur confisquerait quelque chose, et qu’il faudra donc la faire tomber d’un piédestal où, de toute façon, elle n’est plus installée depuis longtemps ? Situation paradoxale là encore : la critique semble jouir aujourd’hui d’une forme de prestige inédit (les étudiants en cinéma veulent devenir « critique de cinéma » au moment-même où ce n’est, économiquement parlant, presque plus un métier ; le « critique » est une figure en vogue à la télévision) et en même temps elle n’a jamais paru si peu légitime. Il suffit de voir à la télévision la fonction que remplissent à leur insu les animateurs « critiques » polyvalents qu’on trouve par exemple sur les plateaux de Ruquier : fonction purement populiste – ils sont là pour se faire haïr, pour incarner caricaturalement un cliché, celui du critique aigre, peine-à-jouir, parisien, « bobo », etc. C’est comme si les gens avaient pris au pied de la lettre la formule de Truffaut : « Chacun a deux métiers : le sien et critique de cinéma ». Mais pour entendre que ça n’est pas, que ça ne peut être un « métier », ou alors foncièrement illégitime. Le web et la télé se rejoignent dans ce désir plus ou moins conscient de lynchage.

Quelle différence y a-t-il entre les émissions de critiques cinéma (à la radio avec Le Masque et la plume, à la télévision avec Le Cercle) et les critiques de la presse écrite spécialisée ?

Ce n’est pas du tout la même chose, pas du tout le même exercice. Ce peut être complémentaire. Ces émissions sont un espace de débat sur les films, entre des gens qui par ailleurs sont critiques. Mais ce n’est pas vraiment de la « critique » à proprement parler, ne serait-ce que parce que la contrainte de temps (impérieuse à la télévision) implique une autre forme de discours.

Quelles relations entretiennent les critiques cinéma avec les cinéastes ? Serre-t-on la main à celui dont on a massacré le film la veille ?

Ces relations existent, mais pas forcément pour de mauvaises raisons, même si la presse fourmille bel et bien d’articles de complaisance. La position idéale du critique serait bien entendu celle d’une espèce de moine, retiré dans une ascèse critique qui se tiendrait aussi loin que possible de ceux qui font les films – c’était la morale fameuse de Lester Bangs, côté critique rock. En même temps, elle est intenable dans sa forme absolue. Parce que faire de la critique implique, entre autres, de fréquenter les festivals, et donc les gens qui font les films. Cette promiscuité est un problème, mais il est difficile de la contourner complètement. Après, c’est une question de morale individuelle, qui implique a priori de se refuser à écrire sur le travail de quelqu’un qu’on connaîtrait trop bien, voire seulement un peu. Souvent, les critiques sur qui se porte le soupçon de transgresser cette morale-là s’en défendent en rappelant que les critiques de la Nouvelle Vague se servaient de leurs colonnes pour faire l’éloge de leurs propres films. C’est vrai, mais ce n’était du tout la même chose, c’était un seul et même geste de combat, de la critique à la mise en scène. Et, pour finir de vous répondre, un critique de toute façon ne s’adresse qu’aux films, pas à ceux qui les font. Ou alors, aux cinéastes, en tant que fonction, mais pas en tant que personnes. Il y a de très chics types qui font des films affreux.

Y a-t-il de grands travers, selon vous, chez les critiques de cinéma français, dans leur appréciation des films ? De grands atouts ?

« La » critique de cinéma française, ça ne veut pas dire grand chose ; ce n’est pas, ce n’est plus, une école. Ce qui est sûr c’est que, parce que la France a inventé la critique de cinéma (en tout cas sous sa forme la plus engagée, viscérale, morale), il y a un lourd héritage.

Par exemple, dernièrement, quel film vous a paru sur ou sous-coté?

Des films sur-côtés dans la presse, il y en a tous les mois, voire toutes les semaines. Sans parler du rôle de la pub, c’est d’abord un problème structurel. Il faut alimenter les colonnes, et aucun magazine aujourd’hui ne se résoudrait à ne faire paraître que des critiques négatives. C’est particulièrement vrai pour les hebdomadaires : chaque semaine il faut jouer le jeu, donner à croire qu’il y a de bons films à voir, vendre l’idée que l’actualité est pleine de chefs d’oeuvre. Ce qui est faux évidemment : de vrais bons films, il n’y en qu’une poignée par an. Il faut pourtant trouver le moyen de créer l’événement. Récemment, des films comme Oslo 31 août ou Le policier, par exemple, ont été à mon sens nettement sur-côtés, et pour une raison qui est facile à expliquer : le meilleur événement, c’est la découverte d’un auteur, d’une personnalité nouvelle dont on pourra faire le portrait. Et souvent ce sont des films qui permettent de parler d’autre chose (des pays d’où ils viennent, de sociologie, de l’âge de leurs auteurs) et surtout pas de mise en scène. Mais en matière d’hallucination collective, la palme, récemment, revient à La guerre est déclarée, qui est pour moi un film infect et qui a fait l’objet d’une unanimité hystérique et proprement aberrante. Ou Donoma, qui est déjà nettement plus aimable mais ne justifiait en rien un pareil accueil.

Le rapport de force critique/promotion est-il puissant ?

Il existe évidemment à travers la publicité, pour les magazines qui en dépendent. Travaillant pour un magazine pauvre et indépendant, je n’ai pas ce problème. En revanche, l’accès aux films, pour la presse, tend à se restreindre sous la pression des distributeurs. Il est de moins en moins rare de se voir barrer l’accès des projections de presse, au motif, parfois pleinement assumé, que le distributeur veut faire barrage d’office aux éventuelles critiques négatives. Récemment un attaché de presse me l’a dit sans détour, ce qui m’a laissé sans voix : je n’étais pas le bienvenu à la projection du film dont il s’occupait parce que son travail consiste « à faire la promotion des films », et qu’il ne pouvait donc pas « prendre le risque de critiques négatives ».

Mais le triomphe de la promotion s’exprime aujourd’hui par des voies plus secrètes, et d’autant plus efficaces. L’accueil de La guerre est déclarée et Donoma parlait pour ce sacre-là : les dithyrambes de la presse se sont fait le relai extatique du récit mythologique de la fabrication de ces films (l’énergie trompe-la-mort de La guerre est déclarée, celle arte povera de Donoma, le film-à-150euros), et quand il s’agissait de parler mise en scène, on ne parlait encore que de ça, l’énergie admirable du geste, comme si tous les jeunes cinéastes ne mettaient pas cette énergie-là dans leurs films. Sauf que cette énergie-là a su se montrer, se rendre désirable, c’était une redoutable machine de guerre publicitaire, et la presse unanime s’y est vautrée avec délice.

Honnêtement, les « postures critiques » sont-elles une réalité ? (je veux parler ici des critiques souvent acerbes des succès publics, par exemple)

La critique est affaire de goût, et donc de distinction. Donc, « posture », non : position, plutôt. La critique sert à ça, à prendre position, position par rapport à une vision du monde. Et parfois la vision du monde dispensée par certains films sourd déjà de leur promotion, de leur affiche, donc on va à leur rencontre avec une idée de que ce sera notre position – même si on peut toujours être surpris, et c’est tant mieux. Mais cela vaut pour tous les films, pas seulement ceux promis à un gros succès. Pourquoi la critique se réjouirait-elle a priori de ne pas aimer ce qu’aimera le public ? C’est un fantasme qui relève du discours dont je parlais plus tôt.

Finalement, pour vous, qu’est-ce qu’une bonne critique de cinéma ?

Difficile de répondre évidemment mais disons, au moins, qu’elle doit être la plus subjective possible. Et que -en exagérant juste un peu – l’objet de la critique n’est pas tant le film que le texte lui-même, ce que le film a inspiré au texte. Il s’agit de faire passer quelque chose qui n’est pas le film, mais quelque chose que le film a inspiré, suscité.

Entretien réalisé par Quentin Jagorel

Un Commentaire

  • Posté le 21 June 2012 à 16:00 | Permalien

    I agree with Jerome Momcilovic.