PROFONDEURCHAMPS

Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ? Rien ! Par définition…

Une histoire des mots (épisode II)

Vous y êtes encore, vous en revenez ?… Vous les avez bien remplies ? Si c’est le cas, vous nagez en plein oxymore : les vacances, à l’origine, c’est le vide !

Un V voyageur
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Les vacances, ça commence au XIIIème siècle par LA vacance, au singulier. Et la vacance, c’est le manque, l’absence (du latin vacare, par le biais de son participe présent vacans). Vacare qui s’ouvre un gouffre de dérivés : vide, vain, ou vaste. Le « v » de vacances, ou de vide, a connu une fortune étonnante au fil des siècles et des langues. Une simple petite lettre peut ainsi faire le tour du monde et porter à elle seule une particule de sens partagée par tous. Elle s’est glissée dans le waste anglais, pour parler de ce qui est perdu, gâché ; dans le Wüste allemand, pour désigner le désert ; a gagné toutes les variantes espagnole, italienne, roumaine des vacacciones. Traversé l’Atlantique et conquis l’Amérique à coup de vacation, même si les Anglais préfèrent une lecture religieuse des jours de repos via holidays.
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En France, vacance a longtemps tenté d’étendre son territoire mais la concurrence est rude. Vide s’accroche dans le domaine pratique et scientifique : jamais vous ne verrez une bouteille à demi-vacante ! Vacuité se spécialise dans le vide moral ou intellectuel. Vanité est une star indéboulonnable depuis la Bible (vacance des vacances, tout n’est que vacance, ça a quand même moins de classe que la célèbre formule de l’Ecclésiaste, I,2. Notons au passage que le mot hébreu pour vanité est HévèL, qui désigne une brume légère et peu durable). Tant de mots pour désigner le vide laisse songeur. En a-t-on autant pour le plein ?
Vacance se rabat donc dès le XIIIème siècle sur le terrain administratif : les biens, postes ou fonctions laissés vacants sont sans titulaire, responsable ni propriétaire. On parle ainsi de la vacance des tribunaux ou pire, de celle du pouvoir, quand personne n’est en mesure de remplir les fonctions de dirigeant, d’un Etat ou d’une entreprise. Il s’agit d’un moment de flottement, pourrait-on dire. Un entre-deux qui ne dure jamais bien longtemps, un vide… par intérim.
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Pluriel
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Mais le vrai coup de chance de vacance, son accession à la gloire, c’est son passage au pluriel, grâce à l’école qui se développe à partir du XVIIème siècle. Qui occupe peu à peu l’essentiel de l’année et définit une nouvelle organisation du temps, un nouveau rythme, libérant les élèves de leur obligation d’apprendre durant les mois d’été. Parallèlement, l’emploi salarié se généralise. Et dès la fin du XIXème siècle, l’accès au temps libre est une revendication des travailleurs. De fait, le couple travail/vacances se soude : les secondes ne prennent sens que par rapport au premier. Le regard posé sur les demandeurs d’emploi et les femmes au foyer en témoigne encore aujourd’hui : comment pourraient-ils s’octroyer des vacances, eux dont l’activité principale est invisible et non rémunérée ?
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En 1936 pourtant, vacances frôle la catastrophe : le Front Populaire instaure les congés payés, qui n’étaient même pas dans son programme électoral. Un mot qui désigne au départ une permission militaire, de la même famille que congédier ! Mais son usage est restreint : congés marche seulement avec travail et rémunération. Grandes l’été et petites l’hiver, les vacances l’emportent, faisant tomber congé en quasi désuétude, le cantonnant malgré lui dans des formules figées et légales, du congé parental à celui donné à un locataire. Les vacances sont associées au voyage, au départ. C’est un pays qu’on découvre, une région et des activités que l’on retrouve. Symbole de qui l’on est, des valeurs qu’on défend. Il suffit de voir comment les hommes et femmes politiques choisissent soigneusement leur destination. Les voilà partis en Bretagne, dans l’Ile de Ré, en Lozère, le plus souvent dans des maisons discrètes où ils pourront se livrer à des activités modestes et saines : lire en paix, écrire un livre, recevoir quelques amis. Et quelques jours à peine : il ne serait guère prudent de laisser son poste trop longtemps… vacant.
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Catherine Rosane