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Amy Winehouse, un an, et après ?

Le 23 juillet 2011, l’heureuse gagnante des paris macabres sur la mort d’Amy Winehouse se serait vue offrir, selon certains sites internet, un iPod touch. Il y aurait eu, en vérité, quatre futés à avoir deviné la date exacte de l’extinction de la diva britannique. Mais seule la première à avoir parié a touché le prix décerné par whenwillamywinehousedie.com. La blague de mauvais goût est doublée de l’ironie du décès rapide d’une des icônes les plus médiatiques de ces dix dernières années. En effet, il y a un peu plus d’un an, Amy Winehouse succombait à ce qui a depuis été identifié comme une overdose d’alcool, survenue après une longue période d’abstinence. L’ironie est encore plus insupportable que ladite période d’abstinence laissait entendre qu’Amy était, peut-être, sur la voix de la rédemption, prête à revenir plus forte que jamais, plus de cinq ans après son chef-d’œuvre, Back to Black.

Mais la chanteuse est morte, laissant les fans face à un sentiment de frustration. On attendait tellement de son retour. On espérait qu’elle revienne pour faire mentir ceux qui disaient que sa voix était irrémédiablement altérée par ses abus. La rumeur courait, elle était en studio ! Et en même temps, cette mort si injuste et aussi médiatisée que les frasques de feu la plus adorée des junkies, laissa tout de suite un avant-goût de ce que pourrait être sa postérité. Son âge, 27 ans, et la rumeur qui s’est diffusée quasiment immédiatement de l’imminence d’un album posthume, ont redonné un peu d’espoir.

Mais que restera-t-il vraiment de cette artiste ? Marquera-t-elle son époque aussi durablement que fortement ?

27 ans, elle avait 27 ans. La coïncidence inouïe de la série noire qui a fauché tant d’artistes de légende au même âge. D’abord le fondateur des Stones, Brian Jones, puis dans les deux années qui suivirent, Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrison… En 1994, Kurt Cobain, qui triche un peu puisqu’il met fin à ses jours, achève de créer la légende du Club des 27. Ce club des dinosaures du Rock’n’roll, on l’avait un peu oublié, mais Amy Winehouse l’a ressuscité. On veut voir dans ce hasard un signe : elle aussi, elle est une légende du Rock’n’roll, elle aussi on s’en souviendra dans 50 ans.

Il est toujours difficile de déterminer qui, parmi les contemporains, marquera durablement son époque, jusqu’à en devenir une des icônes. Mais Amy semble bien rassembler tous les éléments de la réussite en ce domaine. Une mort soudaine après une vie surmédiatisée, fauchée en pleine gloire, ne laissant à jamais que l’image de ses jeunes années, comparable et comparée à celle d’autres grands noms de la musique, et des enregistrements inédits qui devraient maintenir la flamme encore un petit moment. Et puis avant tout, c’est l’aspect unique de cette artiste qui devrait lui assurer un succès encore long.

Amy Winehouse pourrait faire un peu tache dans le club des 27. Les autres sont tous des grands du rock, et elle, c’est une diva de la Soul Music. Il y a pourtant quelque chose de vraiment Rock’n’roll dans la vie et l’œuvre d’Amy Winehouse. Ce qui l’a rendue si célèbre, c’est d’avoir ressuscité la détresse profonde et sincère de ces autres rock stars. Ses textes parlaient de ses problèmes d’addiction et montraient de façon crue ses angoisses face à sa vie. « I told you I was trouble », comme les autres membres du Club des 27, elle incarnait de façon symptomatique une sorte de rébellion face à ce qu’on voulait faire d’elle. Elle était grossière, sale, parfois violente et dérangeante, parce qu’elle ne se reconnaissait pas dans la star aseptisée qu’on voulait qu’elle soit. Musicalement, également, elle a fait la synthèse entre la Soul Music des Afro Américains et une English touch, rétro et plus rock, la musique des blancs, conciliant deux univers souvent opposés.

Ce qu’il restera d’elle, on ne peut donc pas le dire, pas encore, alors qu’on a commémoré le 23 juillet dernier le premier anniversaire de sa mort. Sa voix unique, qui rappelait celle de grandes divas comme Billie Holiday, ou son style de poupée grunge (sa coiffure, bien entendu, dans laquelle elle planquait de la cocaïne, ou encore ses tatouages et son trait d’eye-liner qui a fait sensation), rendent en tout cas son image visuelle et sa signature musicale inoubliables. Mais beaucoup pointent du doigt la maigreur de son Å“uvre. A cela on pourrait rétorquer que Janis Joplin, elle, n’a jamais sorti que 3 albums de son vivant. Mais passons. En décembre 2011, l’album Lioness : Hidden Treasure sort dans les bacs. Pourtant, depuis 5 ans, elle n’avait rien enregistré. En 2008, après une razzia remarquée sur les Grammy, la chanteuse fait trois petits tours et puis s’en retourne en Rehab, annule des concerts à la pelle quand elle ne s’effondre pas tout simplement, ivre-morte, sur scène. On dit même que Mark Ronson, producteur et impresario d’Amy, aurait rompu lui-même le contrat qu’il lui avait décroché pour enregistrer le générique de Quantum of Solace, parce qu’elle était ingérable, et que sa voix n’était plus que l’ombre de ce qu’elle était. On avait sonné le glas de sa carrière, pourtant, elle était de retour, du moins c’est ce qui est annoncé dès l’automne 2011.

La sortie de l’album posthume ne se fait pas sans une forte dose de faux suspense : les fans sont tenus en haleine, attendant l’autorisation de Janis (la mère, marrant non ?) et Mitchell Winehouse, ses parents, quant à la publication de ces titres inédits. Et puis une fois l’annonce faite de la sortie d’un troisième album, les craintes se multiplient. On a peur d’un pot-pourri, d’un mélange artificiel de chansons de faible qualité et maturité. La sortie est tellement attendue – depuis 5 ans – qu’on craint la déception. Heureusement, un teaser de taille vient atténuer les angoisses : un duo avec le crooner Tony Bennett vient prouver qu’elle n’avait rien perdu de sa voix et de son coffre. Cependant, et pour être tout à fait honnête, le résultat est assez hétérogène. Quelques titres brillent et se détachent du lot (Between the Cheats, The Girl from Ipanema), le duo avec Tony Bennett est bon, mais la présence d’enregistrements inédits de chansons déjà connues déçoit. La version originale de Tears Dry On Their Own est franchement moins bonne que celle que l’on connaissait auparavant, et on comprend aisément qu’elle n’ait pas retenu l’attention. Etait-ce là tout ce qu’on avait à nous offrir des prétendues myriades de titres inédits que la chanteuse avait commencé à travailler en studio ?

En réalité, Lioness: Hidden Treasures n’a rien du Pearl de Janis, qu’elle avait eu le temps de mûrir et d’enregistrer intégralement de son vivant avant de succomber à ses excès. Des douze titres, seul un nombre très limité avait été conçu pour figurer sur un éventuel troisième album. La seule chose que Mark Ronson a pu nous offrir, c’est une compilation de ses plus belles démos inédites, et un goût de pas-assez, un disque pour se morfondre en pensant à ce dont elle était encore capable. Elle disait qu’il était hors de question de reproduire Back to Black, qu’elle voulait passer à autre chose avant de retourner en studio. Une réelle évolution, après la légèreté de Frank et la douleur profonde du deuxième album, un troisième pas vers la maturité. En 2011, après son isolement de la vie médiatique et son sevrage, elle est guérie de son chagrin d’amour qui avait inspiré Back to Black avant de la plonger dans la détresse. C’est pour cette raison qu’elle était retournée en studio, parce qu’elle pensait enfin avoir la force de surpasser le coup de force de 2006. Mais ses démons l’ont rattrapée et ont eu raison d’elle. Alors, on peut se dire que son génie et ses démons ne faisaient qu’un, et que Back to Black était destiné à rester son plus grand chef d’oeuvre. Un artiste qui marque, c’est aussi un personnage. Aretha, autre diva soul d’un autre genre, a par exemple perdu son succès fulgurant quand sa Black Womanity a mis de l’eau dans son vin, et elle reste aujourd’hui, le souvenir vivant du génie et de la révolte de ses jeunes années. Amy s’est éteinte avec son personnage et ses addictions, elle est morte d’avoir remis le pied à l’étrier, peut-être parce qu’Amy Winehouse ne pouvait être que la poupée trash en détresse affective, se détruisant pour séduire son dealer, scandant qu’elle ne veut pas se soigner en Rehab et retournant à jamais dans l’obscurité promise par son album. Le drame, c’est que cette histoire déchirante n’a pas trouvé de fin meilleure que la mort.

Seule l’histoire décidera de ce qu’elle souhaitera faire de la diva soul. Je ne crois pas une seule seconde qu’elle sombrera dans l’oubli, mais je ne sais pas ce qu’il adviendra de cette icone si étrange et rétro dans une période où la musique électronique prend une place de reine dans le paysage musical. Amy aura, au delà de son oeuvre maigre, ouvert la voie à une nouvelle génération d’artistes britanniques, en tête desquelles celle qu’on qualifie de nouvelle Amy – en moins trash et sans l’anorexie – Adèle. C’est peut-être bien ça, ce qu’elle laissera, l’inspiration pour une génération qui contre-balancera l’absence de suite donnée à un génie tourmenté. Souhaitons donc à Adèle un meilleur avenir, et une oeuvre prolixe. Si cela ne vous satisfait pas, si vous aimez les musiciens quand ils s’auto-détruisent, et si vous êtes un tout petit peu cynique, vous n’avez qu’à consoler vos pulsions morbides en pariant sur l’équivalent masculin (mais à mon avis moins génial) d’Amy, Pete. Rendez-vous sur whenwillpetedohertydie.com pour de nouvelles aventures repoussant les frontières du mauvais goût. Oui, le site existe bel et bien, et si pour vous le chanteur des Babyshambles a la carrure d’un Christ du Rock’n’roll, alors sachez que le chanteur vient de fêter ses 33 ans ! Tentez donc votre chance, et peut-être gagnerez vous un iPod touch, vous aussi. Quelle aubaine !

 Thomas Colineau