PROFONDEURCHAMPS

Caravaggio au Triton

6 février 2013, 

Lorsque l’on entre au Triton, aux Lilas, on est tout de suite surpris par l’atmosphère qui y règne, entre café bar et salle de concert. Cela dit, on se laisse vite prendre par l’ambiance cosy et intimiste qui s’en dégage.

Trois rangées de chaises, à un mètre de la scène participent à la proximité (tant espérée !) avec les artistes que l’on aperçoit par moment derrière le rideau jeter quelques regards furtifs sur la salle se remplissant. Derrière, de petites tables permettent de déguster un verre tout en appréciant le concert.

EXE COINCIDENCES

Sur la scène, une contrebasse et deux basses, entourées d’une enceinte de pédales d’effets aux diodes luminescentes. A leur gauche, une batterie sur laquelle on aperçoit un pad permettant au batteur d’utiliser des sons électroniques pré-enregistrés, lors de ses riffs. Plus loin, un violon trône aux côtés d’une guitare ténor, eux mêmes encerclés de pédales diverses, sous le regard d’un orgue électronique et d’un minimoog.

Tous ces éléments laissent pressentir que la musique que l’on s’apprête à écouter va puiser des influences et des émotions aussi loin que les instruments électrisés peuvent repousser leurs limites créatives.

Par ailleurs, la présence de Cyril Atef dans la salle – le « Bum » du groupe « Bumcello » dans lequel il joue aux côtés du violoncelliste Vincent Segal, le « cello » – laisse présager que les compositions proposées seront sûrement aussi imprévisibles que décalées.

« Caravaggio » est un projet fondé en 2004, explorant le jazz en le mêlant à l’électronique, et témoignant d’un travail approfondi, orienté avant tout sur l’esthétique musicale. Désireux de «rassembler en un groupe amplifié des écritures instrumentales, électroniques et d’inspiration pop-rock», il joue sur le voyage d’un style musical à l’autre sans jamais s’y cantonner. L’improvisation est la source de la création puisque les musiciens y puisent des sonorités qui seront ensuite exploitées, mises en forme et structurées pour donner naissance à leurs titres.

Les quatre artistes qui forment cet ensemble sont aussi expérimentés que souriants, ce qui confère à ce moment musical un véritable sentiment d’échange et de partage.

Le premier morceau, « Anybody here ? » peut surprendre par sa tonicité et la rapidité du tempo imposé. Les muscles contractés, les yeux fixés les uns dans les autres, les quatre hommes laissent s’échapper des mélodies complexes, à la limite de l’oppression,  mais exécutées avec une synchronisation telle que c’est davantage un sentiment d’évasion qui emporte les spectateurs médusés. La batterie, impeccable, offre des riffs insoupçonnables, où puissance et retenue se mêlent pour créer une rythmique intense, forte et délicate.

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Le groupe parcourt des ambiances différentes mais cohérentes, les effets omniprésents participant à l’envol d’une émotion ressentie par un public conquis dès la première transition musicale. Utilisant loops (boucles enregistrées en live) et samples (voix/sons enregistrés au préalable), ajoutés à une basse au son lourd et saturé, et à un violon aux mélodies rappelant le rock psychédélique des années 70, Caravaggio libère une énergie sombre mais empreinte d’une précision et d’une exigence poétiques emportant le public dans une atmosphère planante et émotive ; atmosphère intensifiée par l’utilisation du minimoog par le claviste. Pour rappel, cet instrument commercialisé en 1970 pour la première fois par Bill Hemsath et Robert Moog, permet de moduler les sons et fréquences du synthétiseur qui y est intégré, et donc d’en extraire des sons électroniques modulables à l’infini et en direct.

Ce qui frappe, au long de ce spectacle, ce sont les regards échangés entre ces interprètes, s’oubliant pour laisser court à des improvisations remarquables. Mais c’est surtout les variations et les rythmes des compositions qui invitent au voyage. Un temps emporté dans une rythmique agressive, le spectateur est soudainement plongé dans un enchevêtrement de sons électroniques doux et mélodieux, où le violon, bardé d’effets, participe à l’échappée subtile de nos oreilles.

La basse, tantôt saturée, tantôt feutrée, est un pilier important par la chaleur et la force qu’elle dégage. Bruno Chevillon, bassiste et contrebassiste, se penche et se déhanche au rythme de ses notes, modulant leurs fréquences pour créer des transitions qui rappellent  notamment les compositions du groupe belge Ghinzu.

Le batteur, Eric Echampard, peut aussi bien désosser son instrument, pour y puiser de nouveaux sons, que s’effacer et fermer les yeux pour laisser le public savourer la douceur du violon de Benjamin De La Fuente. Ce dernier, maîtrise avec habileté son instrument et, surprend par la qualité de ses improvisations tout comme la virtuosité de ses solos.

Le claviste, Samuel Sighicelli , quant à lui, ne mérite pas moins d’éloge car sa retenue et les harmonies dont il fait preuve, enveloppent cet univers traversant les styles. Les morceaux se structurent petit à petit, l’ambiance s’intensifie de seconde en seconde, pour exploser en un festival de fréquences aussi éclectiques que complémentaires, rappelant le « live At Pompeii » des Pink Floyds, réalisé par Adrian Maben en 1972.

L’espace d’un instant, on se demande comment une contrebasse, un violon, une batterie et un piano peuvent construire des mélodies électroniques si bien orchestrées. Ce spectacle, rythmé, décalé, ambitieux, laisse planer les ombres de Roger Waters et de Stanley Kubrick, sur un public se délectant de chacune des mesures offertes par ces musiciens hors pairs, encadrés par leur technicien son, placé lui en régie, et à l’égard duquel les artistes sur scène ne tarissent pas d’éloges.

Je ne peux que vous encourager à découvrir ce projet en live, qui nécessite toutefois une certaine sensibilité aux mélanges des genres et particulièrement à la musique électronique, et vous recommande particulièrement les morceaux « Profondo » et « Beth’s vibrations », hommage à la chanteuse de Portishead, Beth Gibbons, qui, elle aussi j’en suis sûr, aurait été subjuguée par la créativité de cet ensemble d’acrobates musicaux.

Quentin Coupin

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« Caravaggio#2 »

Sorti le 20 Novembre 2012

Label La Buissonne

A découvrir sur http://caravaggio.bandcamp.com/