Doha dans l’oeil (épisode IV)
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Il y a trente ans de cela – une éternité – les bédouins qataris se levaient à l’aube pour ne pas finir confits dans leurs étouffantes cabanes. Ils se rassemblaient dans le majlis, une salle commune où les hommes prenaient le thé en discutant des performances de leurs dromadaires et des migraines de leurs femmes, à moins que ce soit le contraire. Ils n’en bougeaient plus jusqu’au crépuscule. Le soir tombé, ils chevauchaient leurs montures jusqu’au bled voisin. Rien n’a vraiment changé depuis. A un détail près : les Toyota Land cruiser ont remplacé les dromadaires.
Le qatari passe plus de temps avec sa Land Cruiser qu’avec sa femme et ses enfants. Il fait littéralement corps avec son 4X4. C’est quoi un piéton qatari au fait ? Réponse : un mirage, ou un gars qui va chercher sa voiture au parking.
La séance du bain du vendredi après-midi est sacrée. Le qatari emmène sa Land Cruiser au Lavomatic et il la contemple d’un œil attendri alors que les brosses géantes lui chatouillent le capot. Et pourquoi ont-ils jeté leur dévolu sur cette Toyota ? En terre arabe, tout vient d’en haut. A Dubaï, le Cheikh avait acheté une Mercedes G55 et tout le monde l’avait imité au grand bonheur du concessionnaire local qui, à l’exemple d’un joueur de tennis suédois, avait pris sa retraite à l’âge où la plupart des français quittent l’université. C’eut été le rêve de Renault, que le Cheikh en pince pour la Clio mais bon, vous connaissez l’histoire : « Pas assez cher mon fils ». Non, l’Emir du Qatar désespéra Billancourt, il tomba amoureux d’une Land Cruiser.
La virilité du conducteur de Land Cruiser se mesure aux grondements de son V6. Alors il appuie à fond sur la pédale. Malheur aux pauvres berlines qui osent le précéder et tardent à lui céder le passage. Les qataris ont pris l’habitude de ne pas retirer les plastiques qui recouvrent les sièges des voitures qu’ils achètent neuves. Certains vous diront qu’en protégeant ainsi les sièges, ils augmentent la valeur marchande de leur véhicule. Il est vrai que les accélérations précoces de leur automobile leur procurent beaucoup de plaisir et qu’ils risqueraient d’en souiller fatalement le cuir délicat.
Il reste un mystère. Comment se fait-il que les qataris ne soient pas des adeptes du tuning ? On m’a rapporté qu’ils mettaient des capuchons pour faucons sur leur levier de vitesse. Un timide début. Nous sommes encore loin du bas de caisse trafiqué, de la queue de castor au pare-brise et du rose bonbon sur les jantes. C’est peut-être à cela que l’on apprécie la sophistication d’une culture finalement, à l’épaisseur de la moumoute sur le volant.
Fatima Yalla