Doha dans l’oeil (épisode VI)
La qatarisation n’est pas une infection nasale provoquée par l’air conditionné. La qatarisation n’est pas une sous pathologie du consumérisme qui se traduit par l’achat effréné de clubs de football désargentés ou de grands magasins en perdition. La qatarisation n’est pas non plus la mutation inopinée d’un expatrié en conducteur de Toyota Land Cruisers.
La qatarisation est un immense défi, celui de faire travailler les qataris.
[caption id="attachment_4500" align="aligncenter" width="560"] Skyline © Osbonn Rodrigues[/caption]La tâche est ardue. Tous ceux qui ont eu le bonheur de travailler dans un Q – du nom des sociétés nationales qataries qui commencent toutes par la lettre Q – ont pu observer les locaux pendant les heures de bureau. Ils sont débordés, les pauvres.
La lecture des journaux copiés-collés sur les dépêches de l’agence de presse nationale, le dosage du thé et les échanges sur Facebook leur donnent à peine le temps d’aller fumer une cigarette. Pour le reste du monde, 14h30, c’est le début de la deuxième partie d’une journée de travail bien remplie. Pour un Qatari, c’est juste le moment de rentrer à la maison après une longue pause déjeuner. Seulement voilà , quand les dossiers s’empilent sur les bureaux et qu’il n’y a plus que des Indiens et des Philippins pour les traiter, le chef fait la grimace. Suis-je encore au Qatar ? se demande-t-il le regard fixé sur son drapeau aux motifs crénelés qui rappellent étrangement une braguette. Ces étrangers nous contrôlent-ils ?
Branle-bas de combat, il faut lancer la qatarisation.
Alors on qatarise manu militari. On vire les expatriés au motif qu’il faut restructurer, on recrute de jeunes qataris inexpérimentés et on s’en gargarise dans les journaux nationaux pour montrer que le progrès et le renouveau identitaire sont en marche. L’euphorie est de courte durée. Les piles de dossier finissent par s’accumuler sur les bureaux, la machine à café que plus personne n’entretient s’épuise à confectionner les breuvages et le chef s’inquiète de ce rapport qu’il doit rendre au ministre et dont personne ne s’est occupé.
Le chef comprend alors qu’il manque aux qataris deux notions fondamentales : la responsabilité et la vitesse d’exécution.
Le qatari hésite en effet à prendre une décision qui l’engage personnellement. Il a trop peur de se tromper. Quant à la vitesse, il n’y a qu’une chose que le qatari fait rapidement : conduire son Toyota Land Cruiser. La mort dans l’âme, le chef n’a d’autres choix que de rappeler le petit indien qu’il avait viré la semaine précédente et de le supplier – ô le douloureux effort – de l’aider à boucler le rapport du ministre.
En anglais, on appelle cela un « reality check ».
Fatima Yalla