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“Pour en finir une bonne fois pour toutes avec les écoles de commerce” : 2 – Le Pauvre

Lire l’épisode 1, L’enculé

Avant d’aller se payer une bonne tranche de rigolade et de repartir du bon pied, plein d’allégresse et de joie de vivre après une parenthèse humoristique (ou bien avant de ne laisser transparaître que les signes extérieurs d’amusement intérieur d’un mormon constipé et philatéliste qui irait ensuite chercher dans la remise une corde pour se pendre, c’est selon), le lecteur est invité à considérer ces quelques considérations.

« – Monsieur, pourquoi est-ce que les pauvres ils sentent le fromage ?

– Je n’en sais rien, c’est leur odeur. »

                                                     Trey Parker, Matt Stone

Premièrement, force est de constater que le candide étudiant en fac de lettres et lecteur du Monde Diplomatique s’attendant à rencontrer un contenu intelligent ou tout du moins intéressant ira lamentablement s’écraser contre le Mur de la Connerie, contre la toute-puissance de l’électroencéphalogramme plat. L’auteur est en effet quelqu’un de rustre, apolitique, bête, vulgaire, seine-et-marnais, et dont l’hygiène bucco-dentaire laisse à désirer. Cet article n’a d’autre but que de faire rire, comme le disait Pierre Desproges, ou comme justement il se refusait à le dire, je ne m’en souviens plus, cet homme est décidément trop intelligent pour moi, et pas moyen de remettre la main sur son bouquin, j’ai dû le perdre dans mon déménagement, et dire que Capri était la ville de mon premier amour.

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Deuxièmement, nous vivons dans un monde où tout est critiquable, et où il est de bon ton d’avoir une idée sur tout. « Ah, si seulement j’avais le courage de tous ces artistes engagés qui osent critiquer Pinochet à moins de 10.000 kilomètres de Santiago… » Il serait tentant d’y voir un contenu politique, ou, pour les vichystes oublieux du droit romain, d’y sanctionner un non-acte, un non-engagement. Les fascistes adeptes du tout-politique qui trouveraient cet article raciste ou dévalorisant à l’encontre de certaines CSP et familles de fruits et légumes sont donc cordialement invités à le rouler en cornet et à se le carrer dans le cul par le bout pointu. Cette introduction longue et des plus naïves n’ayant d’autre finalité que de camoufler la pauvreté de contenu de ce qui va suivre.

« Il faut chercher l’argent là où il est, c’est-à-dire chez les pauvres. Ils en ont peu, mais ils sont nombreux. »

                       Alphonse Allais

Le pauvre est un étudiant comme vous et moi, mais qui, malgré les clichés sur les étudiants en école de commerce, se caractérise par la faiblesse de ses moyens financiers, ce qui le pousse à tartiner son foie gras et à préférer les concerts des Stooges à ceux de Vampire Weekend. Attention à ne pas confondre le pauvre avec le mec de gauche. La gauche politique vient en effet désigner une pensée orientée vers l’égalitarisme et le progressisme, et non l’amour de la Graffenwalder et des apéricubes. Le grand Eric Hobsbawm, qui nous a quittés récemment, se posait la question : « Quel sens pouvait avoir le « Debout les forçats de la faim » de l’Internationale pour des ouvriers qui espéraient avoir leur voiture et passer leurs vacances en Espagne ? » Malgré la simplicité vivante de cette formule, caractéristique de l’œuvre de cet historien génial, la relation entre pauvreté et politique est un sujet trop vaste pour être abordé ici, pour ne pas dire trop chiant.

La façon la plus évidente de démasquer un pauvre dans une école de commerce est de l’emmener avec soi au restaurant universitaire. Vous le verrez se nourrir de ces infâmes raviers de salade de pâtes dont on ne s’approcherait pas même pour tout le Smecta du monde, et que même les Erasmus venant de la Pyongyang Business School hésitent à prendre. Proposons-lui par contre de l’inviter à déjeuner, et il se RUera (bonne blague) sur ces assiettes hors de prix qui n’attirent ordinairement que les MBA suisses, comme, pour 2.58€, ce « gratin d’encorné farci dans sa crème de marrons » (également appelé « grosse bite dans le cul » par Benoît Poelvoorde).

Le pauvre n’est cependant pas non plus à confondre avec le crevard. Le membre d’HECrevard est celui qui est capable d’assister à une conférence de trois heures en amphithéâtre sur « l’épisiotomie dans le Berry : tradition ou barbarie ? » simplement pour pouvoir ensuite dévaliser le buffet de petits fours à la sortie en moins de temps qu’il n’en faut au baron Empain pour se vernir les ongles. Le pauvre en ESC se définit plus par ce qu’il dit que par ce qu’il fait.

 

« Je peux encore compter mon biff, biff, ça veut dire que j’en ai pas assez. »

                              Booba

HEC, l’école du souague (comme on dit chez les jeunes), des requins de la finance chez Calpers, des collectionneurs d’art dans leur penthouse du VIème, des fils de députés et d’ambassadeurs ? HEC, l’école des vacanciers à la Baule et à Megève, des habitués des week-ends à Londres sur un coup de tête, des héritiers de grandes familles industrielles ou de notables provinciaux, des costards de marque, des soirées à coups de Romanée-Conti et de Cheval Blanc ? Faux, d’après ce qu’on entend dans les couloirs entre deux salles de classe. La grande mode est à l’excès inverse. C’est au moins aussi insupportable qu’un étalage de fric, mais immensément plus hypocrite. Et tant pis pour les 9 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Non, le summum du chic est de mettre en avant son enfance difficile, les origines ouvrières de sa famille, la tuberculose de la mère et la peste bubonique du père (jouons le pathos pour se donner un genre, et encore une fois merde aux vrais pauvres, ils peuvent pas nous laisser tranquilles ceux-là), et d’expliquer que si on garde la feuille avec laquelle on vient de se torcher le cul pour se moucher plus tard, c’est parce qu’on a appris à ne rien gâcher du temps où on révisait ses maths pour le concours d’entrée à Sup de Cons dans la caravane familiale du bidonville de Saint-Denis.

« J’ai toujours 500.000$ en cash sur moi, au cas où. »

                               50 Cent

Pourquoi cette comédie ? Sans doute un âge d’or vient-il de toucher à sa fin. « Je remercie la destinée de m’avoir fait naître pauvre, disait Anatole France. La pauvreté me fut une amie bienfaisante; elle m’enseigna le véritable prix des biens utiles à la vie, que je n’aurais pas connu sans elle; en m’évitant le poids du luxe, elle me voua à l’art et à la beauté. Elle me garda sage et courageux (…). Ayant eu peu de part aux biens de ce monde, j’ai aimé la vie pour elle-même, je l’ai aimée sans voiles, dans sa nudité tour à tour terrible ou charmante. La pauvreté garde à ceux qu’elle aime le seul bien véritable qu’il y ait au monde, le don qui fait la beauté des êtres et des choses, qui répand son charme et ses parfums sur la nature, le Désir ».

Nous ne saurions donc que rappeler deux maximes : « Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais », et « plus être que paraître » (devise personnelle d’Antoine d’Abbadie, homme de science et voyageur basque du XIXème siècle). Cinquante siècles de civilisation pour en arriver là…

Et l’enculé dans tout ça ? Il va bien, il vous embrasse. Il est un peu occupé en ce moment, il prépare un double diplôme. Mais il vous donnera de ses nouvelles très bientôt.

 Camille Gontier

2 Commentaires

  • Posté le 24 October 2013 à 13:27 | Permalien

    Un poil en-dedans par rapport à “l’enculé” (dont on doit reconnaître l’incommensurable source d’inspiration, quand il s’agit de dézinguer un inconnu), le pauvre paie cher le fait de faire partie du paysage depuis la nuit des temps (Les Misérables, par exomple n’esspô). Alors, il nous gonfle, le pauvre.

    Rendez-vous pris pour le Fils-Unique ! En tant que ressortissant, ça me ferait plaisir 😉

  • Posté le 24 October 2013 à 21:45 | Permalien

    « J’ai toujours 500.000$ en cash sur moi, au cas où. »

    50 Cent

    Ça me dit quelque chose ça :!