Pour qui a déjà vu un épisode de la série V, le nom de Diana n’est pas inconnu. Diana est la méchante, celle que tous les héros haïssent mais que tous les spectateurs adorent, tant sa cruauté est froide et machiavélique. Comment comprendre cet enthousiasme qui peut aller jusqu’à l’admiration pour un personnage aussi noir ? Il s’agit ici de tenter d’expliquer en quoi ce personnage d’une série des années 80 a pu créer une telle fascination.
Avant toute chose, l’important est de cerner ce dont nous parlons car la série V a fait l’objet d’un remake à la fin des années 2000, mais ce n’est pas ici notre objet. La série de science-fiction dont nous parlons est apparue sur les écrans en 1983 en deux épisodes pilotes, intitulés V et traduits en France par V, les Visiteurs. Ils forment ce qu’on appelle la première « saison ». Suite à ces deux premiers épisodes qui ne concluaient sur rien, trois autres ont suivi qui s’intitulaient V, The final Battle, c’est-à-dire V, la bataille finale, tout le monde aura compris. Ceux-ci forment la deuxième « saison ». En cinq épisodes de 90 minutes, une histoire était tracée et trouvait son heureux épilogue. Ces cinq épisodes formant un tout, ils furent diffusés ensemble en France sur Antenne 2 en 1985. S’ensuivit la série V, une troisième saison de dix-neuf épisodes d’une qualité discutable. Son tournage fut d’ailleurs arrêté en cours de production tant l’audimat américain baissait face à cette suite bricolée qui ne se justifiait guère.
Ce qui est donc étonnant, c’est que près de trente ans plus tard, de tous ceux qui ont vu de près ou de loin quelque épisode de la série, personne ne se souvienne des autres méchants Visiteurs, issus d’une planète lointaine et venus sur la nôtre pour se fournir en eau et en nourriture. Mais chacun se souvient de Diana, interprétée par Jane Badler. Ces visiteurs se présentent comme de gentils êtres à l’apparence humaine, qui viennent demander l’aide des terriens pour quelques composants chimiques qui leur manqueraient. La réalité est tout autre : il s’agit en fait pour ses êtres reptiliens recouverts d’une fine couche de peau humaine de vider la terre de son eau et de ses habitants en les stockant dans leurs immenses vaisseaux, appelés « vaisseaux-mères », au sein de ce que eux-mêmes appellent le garde-manger… Une résistance se met rapidement en place pour faire face à ces envahisseurs. D’ailleurs le film pilote est dédié, dans un hommage discret mais solennel dès ses premières images, aux résistants d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Ainsi, parmi ces lézards malfaisants, surgit assez rapidement Diana. Elle est le commandant du vaisseau-mère posté au-dessus de Los Angeles, commandant en second de la flotte mais elle est aussi la responsable scientifique de toute l’expédition pour la cinquantaine de vaisseaux-mères installés au-dessus des principales villes du monde. Evidemment Diana a tout de l’ambitieuse. Elle est là partout où les circonstances l’exigent, partout où le pouvoir s’exerce. Contrairement à d’autres, elle ne cherche pas un fauteuil confortable : elle aime diriger, créer, mais aussi torturer, tuer, exterminer et parfois aussi convertir mentalement les humains par un procédé qu’elle a elle-même mis au point. Dans le dernier des cinq premiers épisodes, alors que tout semble perdu pour les Visiteurs, elle ne dissimule pas son plaisir à l’idée de faire exploser la planète entière plutôt que de s’avouer vaincue : elle est rancunière et revancharde. A cet instant, on peut même percevoir chez elle un intérêt scientifique pour ce nouveau type d’expérience inouïe. C’est une femme vindicative et pourtant d’apparence glaciale. Le protocole semble même l’agacer. C’est donc un animal à sang froid…
Sa première apparition lors de la visite filmée des installations des Visiteurs, après le premier contact avec les terriens, la laisse supposée charmante, agréable, presque dévouée pour ses hôtes. Elle ne pavoise pas lorsqu’elle explique aux terriens certains détails techniques sur sa civilisation. On la sent même assez modeste, presque discrète ou peu habituée à s’exprimer en public. D’ailleurs, elle parle peu car c’est une femme d’action. Elle laisse les discours et les rubans à John, le commandant suprême. Mais on sent assez vite que ses apparitions seront marquantes et que ses paroles comptées ont été rédigées selon un script fait avec art. Ainsi ses attitudes et le jeu de Jane Badler sont le secret de l’attirance que le personnage fait naître. Car ses silences comme son sourire sont inquiétants. Son jeu est caché ou du moins tu. Ses intentions semblent énigmatiques dès sa première apparition. On sent qu’elle est très contente d’être sur Terre. Une immense satisfaction ressort de son port altier quand les techniciens de sa planète débarquent sur Terre pour venir y chercher les fameux composants chimiques tant espérés. Cette apparente félicité semble donc reposer sur l’espoir que constitue cette manne que la Terre peut donner à son peuple. Mais la révélation progressive des raisons réelles de la présence des Visiteurs sur Terre nous prouve que son sourire est carnassier voire vorace. Le festin s’annonce copieux…
Elle est célèbre pour son tempérament mais aussi pour sa capacité à survivre : elle n’hésite pas à tuer quiconque se met sur sa route, y compris ses propres chefs pour reprendre en main la situation. Certaines de ses répliques sont à graver dans les annales : avant d’éliminer le commandant suprême dénommé John, elle lui fait la leçon : «Pendant que vous aviez la couronne, c’est moi qui avais le pouvoir. » Et ce, avant de lui tirer dessus au rayon laser. On notera tout de même la mégalomanie grandissante de cet être à part. Pour toute personne un peu instruite en psychologie humaine, cela aurait pu apparaître comme un symptôme d’une paranoïa mal diagnostiquée.
Sa relation avec Christine Walsh, une ambitieuse journaliste à la mode, est la clef de voûte de la relation qu’elle entretient avec la race humaine. Par son caractère utilitaire, il est rapidement évident que la nomination de la brillante journaliste comme attachée de presse des Visiteurs a pour but de contrôler la communication faite auprès des terriens, de museler la parole des médias en mettant en place une propagande officielle. Diana apparaît tout de suite comme une manipulatrice hors pair qui sait flatter les humains en touchant leurs faiblesses. Par ailleurs, elle n’économise ni ses éloges ni ses gestes d’affection envers cette femme qu’elle a choisie car lui dit-elle « vous êtes écoutée, respectée et séduisante ». Elle n’hésite pas à l’approcher physiquement en un geste de satisfaction affectueuse sur la nuque, assujetissant ainsi par un élan calculé de séduction celle qui deviendra une des pièces maîtresses de son œuvre. Diana vient ainsi de poser un joug sur la presse en instituant une sorte de couple interplanétaire de deux femmes pour contrôler la parole et les images diffusées de par le monde. Mais cette relation quasi conjugale va rapidement se fissurer. La confiance qui fonde ce couple va laisser la place non à une méfiance mais à une sorte de terreur sourde que la terrienne ressent pour Diana, révélant le déséquilibre profond de cette relation basée sur la force, à l’instar de la relation que les Visiteurs entretiennent avec les humains. Le peuple venu d’ailleurs est devenu une force d’occupation et ceux qui collaborent deviennent aux yeux de tous des collabos. La conscience humaine prend le pas sur l’ambition. Même un collabo sait quel jeu il joue et qui il sert. De plus, on voit assez rapidement dans les yeux de la journaliste la crainte d’être entre les mains d’une déséquilibrée.
Car Diana commet des erreurs. Et c’est précisément de psychologie que manque Diana : pour elle qui aime à reformater les esprits un peu trop récalcitrants à son goût, elle oublie quelques détails qui ne vont pas tarder à alarmer certains observateurs attentifs. Un savant qui se met à dénoncer le prétendu complot contre les Visiteurs de certains de ses éminents collègues, signe ses déclarations de la main gauche alors que des vidéos prouvent que peu avant il était droitier. Un prix Nobel de physiologie et médecine américain faisant remarquer violemment à Christine Walsh qu’elle n’a plus aucune objectivité et qu’elle incarne la lie des journalistes, si toutefois elle en mérite encore le titre, se retrouve converti par les bons soins de Diana. Cette dernière s’empresse de le présenter à nouveau à Christine comme un de ses plus fidèles admirateurs. On comprendra que la nouvelle attachée de presse soit un peu chamboulée par cette transformation si soudaine qui confirme les rumeurs selon lesquels des traitements mentaux infligés par Diana en personne transforment des êtres humains en êtres serviles et dénués de jugement. Comment comprendre cette apparente sottise de la part d’une femme si sûre d’elle ? C’est précisément de cette trop grande assurance et de son mépris pour l’intelligence des autres (particulièrement de l’intelligence humaine) que lui viennent ses faiblesses qui vont lui coûter bien cher. En réalité, c’est de son absence totale de scrupule c’est-à-dire de son incapacité à avoir ou à ressentir des sentiments que naissent ses failles. Elle n’hésitera pas à assassiner froidement Christine devant les caméras du monde entier quand celle-ci l’aura trahie en direct, méprisant ainsi les conséquences évidemment désastreuses de cet acte sur l’image qu’elle donne d’elle-même et de son peuple. Ce qui prouve que tout chez elle n’est pas réfléchi, et qu’elle est capable d’actes relevant d’une certaine bêtise, au moins d’une évidente impulsivité.
Elle est donc inconséquente : après l’arrestation de Julie Parish, une des chefs de la Résistance, elle décide de la convertir elle-même et n’hésite pas lors de séances de conversion psychique à provoquer deux arrêts cardiaques chez Julie pour arriver à ses fins. Ces séances de torture ne sont pas là pour faire parler les humains rebelles : Diana ne souhaite pas tant les éliminer ou leur soutirer quelque information que les transformer en profondeur en modifiant au fil des séances la personnalité profonde des êtres humains. Il s’agit de modifier leurs goûts, de changer leurs réflexes et surtout de faire peu à peu se transformer leurs résistances inconscientes pour que les Visiteurs apparaissent en fin de compte comme leurs sauveurs. Elle cherche à créer chez eux des terreurs telles que la main amie tendue par celle qui leur fait subir ses séances soit saisie comme une aide nécessaire. Au fond Diana cherche à les briser.
Elle est d’ailleurs agacée par la résistance dont font preuve certains humains. En réalité, toute forme de résistance lui est étrangère, les résistances psychiques comme la Résistance armée. Elle sait que cela existe mais ne le comprend pas. Cependant elle aime les défis, et c’est là son erreur. : le plaisir qu’elle prend à modeler mais aussi à contempler celle qui sera selon ses propres mots « son chef d’œuvre » lui prend un temps précieux qui par deux fois lui joue des tours. Julie lui échappe avant la fin de la conversion. A vouloir briser ou vaincre tout ce qui lui résiste, sa cruauté lui nuit autant qu’elle la sert. Alors qu’elle dépasse le seul instinct primaire consistant à vouloir purement et simplement éliminer l’obstacle, cohabitent chez elle un mélange d’orgueil narcissique et un certain manque de finesse. En réalité, c’est en voulant échapper à cet instinct primaire de destruction qu’elle commet des erreurs. Et ce sont ses erreurs qui nous la dévoilent instinctive, primaire et malhabile. En souhaitant dépasser cet instinct de la cruauté froide, elle se laisse tenter par la curiosité et par une forme de sadisme, c’est-à-dire de plaisir à faire le mal et à voir le mal qu’on fait. D’ailleurs son propre lieutenant Martin, qui depuis le début s’est fait connaître de la Résistance comme membre de la 5ème colonne, c’est-à-dire de la Résistance au sein même des Visiteurs, la connaît suffisamment pour réussir à gagner du temps quand Mickaël Donovan, autre chef de la Résistance est arrêté et conduit sur le vaisseau-mère. Martin met Diana au défi de convertir Donovan, défi qu’elle relève, créant ainsi un délai qui permet finalement l’évasion du résistant.
C’est ainsi que Diana paraît parfois un peu sotte, elle qui est d’une puissance si froide. Paradoxalement, on touche ici du doigt ce qui la rend touchante. Il n’est pas impossible que le téléspectateur apprécie de la voir entravée alors qu’elle commet des actes si cruels car Diana apparaît alors furieuse. Mais sa fureur n’éclate pas. Elle transparaît dans ses attitudes et curieusement, Diana est drôle dans ses attitudes. Elle semble mépriser les autres et la situation. La hauteur qui d’habitude lui donne une sorte de majesté apparaît souvent comme un habile subterfuge pour cacher sa colère ou son désarroi. Une des scènes qui permet le mieux de comprendre sa personnalité et l’enthousiasme qu’elle suscite se trouve être celle où un prêtre membre de la Résistance conduit Elisabeth, l’enfant stellaire à bord du vaisseau de Diana. Cette enfant née d’une union entre un Visiteur et une humaine Robin Maxwell est une création, le résultat d’une expérience scientifique voulue par Diana. La chef des Visiteurs s’enthousiasme devant la croissance exceptionnelle de cette enfant. Pour la première fois, apparaît de la tendresse, voire de l’affection chez Diana. Cette immédiate sympathie pour une enfant à l’apparence humaine irradie de sa personne : on peut sans se tromper estimer que cette sympathie se transmet et rend le personnage de Diana beaucoup plus intéressant, à défaut de paraître plus sympathique. Elle quitte la seule froideur cruelle pour quelque chose qui la dépasse dont elle n’a pas d’ailleurs totalement conscience. Sans le vouloir, elle devient malgré elle plus humaine…
Mais c’était sans compter sur son naturel qui, comme il se doit, revient au galop. Le prêtre sans doute un peu naïf propose à Diana ses services pour venir porter la parole de Dieu sur la planète des Visiteurs, et lui fait cadeau d’une bible. S’ensuit une scène où Diana apparaît tenant la bible ouverte dans les mains : elle paraît outrée. Il semble que ce texte qu’elle a pris le temps de lire lui semble inconvenant, presque indécent. Le prêtre revient et ce qui devait arriver arrive. Elle lui avoue tout d’abord avoir été profondément marquée par la lecture de ce texte sacré. Mais elle reconnaît dans un second temps qu’elle a appris des choses sur elle-même, et notamment la présence en elle de sentiments qu’elle ne peut pas laisser se développer. C’est pourquoi en deux coups de pistolet-laser elle tire sur le prêtre puis sur la bible qui s’enflamme. On notera tout de même le courage du réalisateur à laisser brûler à l’écran ce qu’on nomme couramment la parole de Dieu. Ce remarquable autodafé a de quoi surprendre et prouve la colère retenue de Diana. Ce geste assoit aussi le caractère autoritaire et assez ridicule de celle qui veut détruire un message en en détruisant le véhicule. Ce geste irrépressible montre toute l’impulsivité de Diana, prouve sous des aspects impénétrables la nervosité de son caractère et enfin illustre son incompréhension de ce qui fonde l’humanité : l’espoir, qu’il soit spirituel ou philosophique, le même espoir qui était resté dans la boîte de Pandore. Diana, qui avait tout analysé sur Terre avant même d’y mettre les pieds, qui avait tout prévu, tout diagnostiqué, a juste oublié qu’il existe un autre type d’analyse possible sur Terre, peut-être celle qui peut avoir lieu sur un divan ou sur un oreiller et que n’envisage pas à un seul instant la grande scientifique qu’est Diana. Elle qui se targue d’être experte en psychologie, manque cruellement de finesse quand la situation lui échappe. Assez rapidement on peut donc la craindre mais aussi la moquer. Elle est aussi effrayante qu’amusante. Elle a toujours un tour dans son sac. Et elle qui paraissait énigmatique, puis terrifiante, se met peu à peu à devenir la coqueluche des amateurs de la série. Et le récit lui-même va dans ce sens, puisque plus les épisodes avancent plus la Résistance fait de progrès. Donc à chaque fois, Diana se voit un peu plus contrariée, ulcérée voire outrée par ces humains récalcitrants à se laisser envahir. Ainsi plus on avance, plus les réactions de Diana acculée nous font plaisir.
Enfin, on ne peut sous-estimer son côté sexy. Ancienne maîtresse du chef suprême des Visiteurs, elle jouit d’un physique avantageux. Elle a utilisé tous les leviers pour arriver à ses fins. Elle est prête à tout, même à se laisser envoyer à l’autre bout de l’univers pour exercer le pouvoir. Sa coupe brune flamboyante et son costume rouge, teinté d’un orange très années 80, tout comme son agilité à tirer au pistolet-laser participent d’une personnalité hors-norme. La femme dominatrice fascine manifestement autant les femmes que les hommes. Il n’est pas impossible que ce soit ici la femme castratrice qui attire et à défaut de faire rêver, laisse songeur et hante ainsi les esprits et les mémoires. La tueuse d’hommes semble ainsi avoir marqué mais aussi séduit toute une génération.
Arnaud Fabre