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“Les chants de Mandrin” ou la grâce du hors-champ

Nous sommes en 1755, quelques années avant la Révolution Française.

Louis Mandrin, célèbre contrebandier de l’époque, aimé du peuple, persécuté par le régime, est finalement rattrapé pour ses crimes. Il est roué vif à Valence. Après sa mort,  ses compagnons, les “Mandrins” décident de poursuivre son aventure et de faire vivre la légende de Mandrin à travers des chants qu’ils vont colporter dans tout le pays.

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La réussite de ce film tient à quelque chose de quasiment surnaturel. Fait de bric et de broc (choix esthétiques, galères financières, peu importe), Les Chants de Mandrin pourrait tout aussi bien tomber dans le ridicule, avec ses dialogues, ses décors quasiment vides et son peu de figurants. Et pourtant, et pourtant. C’est magnifique. Il y a dans Mandrin quelque chose d’impalpable, de profondément magique qui lui donne toute sa poésie : c’est un regard, un plan “vide”, un dialogue, un sourire. C’est surtout tout ce qui est entre les plans, entre les scènes, qu’on ne voit pas mais qu’on imagine. Les Chants de Mandrin, plus encore que tous les autres films de Rabah Ameur Zaïmeche, laisse toute la place au hors-champ et à l’imagination du spectateur. On a la chance de voir un film en train de se faire et, presque, de faire partie de ce processus de création. Rarement j’ai pu voir un film où le spectateur tenait une telle place : aucune condescendance ou supériorité mais vraiment une mise d’égal à égal, de sorte que le film semble se continuer à l’infini, bien après le dernier plan (qui est d’ailleurs magnifique).

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On a beaucoup dit que pour ce film, Rabah Ameur Zaimeche (RAZ) s’était donné trop de place, et qu’il citait trop souvent son propre cinéma. Je comprends ces critiques et en même temps je ne les trouve pas justes. En se mettant au centre, en tant que “chef” des Mandrins, RAZ, pour moi, exprime d’abord toute son admiration pour le vrai chef, celui invisible, celui qui est mort, le vrai révolutionnaire : Louis Mandrin. C’est lui qui est au centre du film, en vérité, il en est le héros. La dernière scène du film, merveilleuse fête en honneur à Louis Mandrin, durant laquelle les fameux chants sont enfin récités, témoigne de cet amour pour le révolutionnaire.

Pour le reste, RAZ, comme dans Dernier Maquis, par un tour de magie qu’il est littéralement impossible de définir (mais un bon magicien ne dévoile de toute façon jamais ses tours), parvient à créer un monde (Les Cahiers du Cinéma qualifiaient Dernier Maquis “d’utopie poétique”, je crois que c’est d’autant plus vrai ici) tout entier acquis à la cause de la solidarité et de la fraternité. Et son message, il le fait passer toujours avec douceur, un romantisme magnifique et avec humour (incroyable scène où Christian Milia Darmezin est malade dans le carrosse).

La force politique des Chants de Mandrin, c’est cette foi, et rien d’autre, en un idéal de vie, un idéal de société. Un appel à monter aux barricades, “pour la beauté de nos rêves”.

Eliott Khayat