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Film du jour : “Elefante Blanco”, Pablo Trapero, 2012

Elefante BlancoPremière image : un homme (le prêtre Julián) passe une IRM dans la blancheur métallique du service de radiologie d’un hôpital. Dans la continuité, un massacre d’enfants dans un village indigène de la jungle bolivienne, auquel assiste un curé belge, impuissant et secoué par des spasmes d’horreur. Cette double-séquence d’ouverture en pré-générique, du blanc au vert, du murmure aux cris, donne le ton d’Elefante Blanco, de sa viscéralité picturale, de sa puissance de mise en scène, de son rapport aux corps qui tombent dans un dernier sursaut synaptique.

Pablo Trapero (auteur des très marquants « Carancho » et « Leonera ») raconte l’histoire de ces deux curés, chargés d’une mission sacerdotale dans la Villa 31 de Retiro, immense bidonville au cœur de Buenos Aires. Tiraillés entre les narcotrafiquants qui gangrènent la Villa et les autorités ecclésiastiques, ils se débattent dans cet univers hostile, contre les autres, ou eux-mêmes, contre la haine qui les guettent.

Elefante Blanco fonctionne quasiment comme un documentaire, à l’aide notamment de plans de coupe sur cet espace urbain désossé et théâtre d’une détresse abyssale, inondé quand il pleut, poussiéreux sous le soleil. Mais c’est par sa mise en scène hors du commun que Trapero réussit à donner vie à son film : il tient sur plusieurs minutes de longs plans-séquences à travers le squelette sinistre de cet hôpital jamais fini (l’éléphant blanc), dans les rues du bidonville ou dans la profondeur du dédale que Jérémie Renier perce pour récupérer le corps d’un enfant tué par un gang ennemi. Par cette mise en scène, qui fait toujours surgir la violence sans prévenir, dans la temporalité du réel, toujours ancrée dans un espace précis, le film restitue l’énergie centrifuge d’une population mise de côté, oubliée, prisonnière dans tous les sens du terme.

Evidemment, cet univers en ruine n’est que l’écho extérieur de l’effritement des murs intérieurs des deux curés, malmenés par le désir sexuel, la colère, luttant contre les caprices de leurs corps, brisés ou malades. Et bien plus que le sens de la vocation ou le rôle de l’Eglise dans les horreurs humaines, le film, il me semble, pose une question: “Peut-on faire le bonheur des autres à leur place ?

Par l’efficacité de son exécution et l’implacable puissance de son récit linéaire, “Elefante Blanco” place Pablo Trapero tout en haut du firmament cinématographique argentin.

Quentin Jagorel