Beat techno et synthés glacials, les Parisiens de Bagarre sont une meute qui prône l’amour de la nuit et la fête comme religion. Ils sont cinq et chantent tour à tour ; ils se suivent, s’entraînent et se soutiennent. On se joint à eux et on embarque pour un moment de transe, se laissant porter par leurs paroles singulières. Avant leur release party la semaine prochaine à la Flèche d’Or, Bagarre est en interview dans Profondeur de champs.
Dans vos chansons vous mélangez habilement beats techno, pop et paroles en français, est-ce que chacun apporte sa touche et ses influences lors de l’enregistrement ou est ce qu’il y a concertation ?
Cyril : On est vraiment tout le temps ensemble et on se connaît depuis très longtemps donc les deux se rejoignent. Chacun apporte ses influences, elles se complètent, on les partage tout le temps, sans arrêt.
Thomas : En studio, maintenant que ça fait un moment qu’on travaille ensemble, on ne se pose plus trop cette question là . On n’est plus dans une façon de faire où par exemple, moi j’arrive avec mon identité de songwriter, après on rajoutera un filtre et en dessous on va mettre une instru hyper dansante ou très électronique. Je pense que ça se fait naturellement dans le processus musical, on va directement vers ce qui nous plaît, et ce qui nous plaît c’est cette hybridation. Mais il n’y a pas une somme de petites cases que chacun apporte. On a une idée qui est commune, et c’est assez intuitif dans la façon de travailler.
La Bête Fauve : Moi je prends vraiment ça comme un défi, l’idée étant de se dire qu’on va mélanger de la trap avec une grille de blues par exemple, essayer de les faire marcher à tout prix. Pour un morceau, on avait une sonorité folk et on voulait le mixer à tout prix avec des sons techno. Idem pour un morceau de chanson française qu’on a voulu mixer avec quelque chose de trap.
Emma : On a transformé toutes les chansons. Pour toutes celles qui étaient un peu folk il y a six mois, on s’est dit qu’on voulait autre chose, on a pris une direction plus rythmique, plus claviers, plus hip-hop.
Pourquoi le choix du français ? Et d’ailleurs, qui écrit ces paroles assez folles ?
LBF : Personnellement, c’est parce que je ne sais pas du tout écrire en anglais.
T : Pour moi, c’était plus pour vraiment incarner les chansons. Je n’arrivais plus du tout à y croire en anglais, et il fallait que les textes me parlent, or en anglais ce n’était pas le cas. Tu y crois beaucoup plus quand c’est ta langue.
LBF : Je ne pourrais pas te dire pourquoi j’écris ce genre de paroles, mais je sais pourquoi j’écris pas des paroles en mode rap, hyper énervées genre « j’aime pas ça, j’aime pas ci, et j’emmerde le reste ». On a une esthétique exigeante au niveau de la forme, on joue avec la langue, il y a un vrai travail poétique. Il s’en dégage une forme d’intimité dans les paroles.
T : Pour les paroles, c’est Arthur et moi pour le moment, et Cyril pour Querelle. Mais à terme, tout le monde doit écrire, ça doit vraiment être une parole éclatée.
Vous avez récemment sorti Mourir au club : l’ambiance y est très sombre, alors que sur scène le titre est explosif, comment expliquez vous cette différence ?
T : Sur scène, ca reste aussi assez noir, mais on rajoute une sorte d’énergie hip-hop, et comme beaucoup de rappeurs on a envie de tout péter. L’attitude doit être hip-hop.
LBF : En studio, il y a une volonté hip-hop même si on est pas un groupe de hip-hop et qu’on s’oriente vers quelque chose de plus noir, de plus rock. Et sur scène, le côté rock est aussi hyper présent, il y cette explosivité qui rejoint le côté énervé du rap. En concert il faut que ça défouraille donc tu envoies la sauce et il se passe ça forcément.
Sur scène chacun prend le micro, vous tournez sur les instruments, pourquoi choisir ce partage, ce relai ? Vous travaillez comme cela en studio aussi ?
E : Ce n’est pas un partage, ce n’est pas vraiment prémédité, ce sont les chansons qui veulent ça.
LBF : Oui, en studio on tourne aussi, on a la même logique sur scène qu’en studio. Pour le chant, c’est vraiment en mode hip-hop, on essaye de démocratiser le micro.
Comment voyez-vous l’évolution de la scène (et de la musique) française aujourd’hui ? Je pense notamment à Fils de Vénus et Rouge Vinyle dont vous êtes proches…
LBF : Je ne suis pas du tout pessimiste sur l’univers musical français. C’est hyper cool, hyper jeune.
T : Artistiquement ça marche bien, tout le monde écoute tout le monde, tout le monde va aux soirées de tout le monde.
C : En France, on a vraiment plein de groupes intéressants, et aujourd’hui plus de choses m’intéressent en France qu’à l’étranger, alors qu’au début des années 2000, ce n’était pas forcément le cas.
LBF : Il y a plein de personnes qui veulent faire vivre la musique française, tu prenais l’exemple de Fils de Vénus et Rouge Vinyle, nous on est au centre de ces deux collectifs/labels là , pourtant ça n’a rien à voir mais ça marche très bien parce que Bagarre est hybride. Mais maintenant tout le monde fait ça. Donc un collectif gay-friendly électro avec un label tradi-rock, et bien ça fonctionne, et comme c’est des gens jeunes tout le monde a tout à prouver.
Comment s’est passé le tremplin pour les Inrocks Lab ? Esprit compétitif ou pas du tout ?
T : Quand on a fait les trois titres, on avait envie de tout donner mais c’était dur en trois morceaux de laisser une grosse impression. L’idée était de donner envie, de faire une mise en bouche de ce qu’est Bagarre, de réaliser une vraie prestation en quatorze minutes. Mais non, je ne dirais pas qu’il y avait un esprit de compétition.
LBF : Mais si ! Il faut que chacun donne le meilleur de soi-même, et que ceux qui sont nazes partent (rires) ! Après, les Inrocks Lab ce n’est pas du tout la « scène française », c’est eux qui choisissent des gens et il se trouve qu’on était dedans. C’est un peu un mélange d’amateurs et de gens qui ne feront peut être plus de musique dans deux ans.
T : L’article de Shadazz est pas mal pour ça, surtout quand il explique « Electronique, Punk, New-Wave, Glam, Hip Hop ? On ne serait pas bien dire, et au fond on s’en fout pas mal ». On est sorti du genre aujourd’hui, on n’a pas inventé une musique de manière révolutionnaire, c’est simplement la digestion de tout ce qui a été fait avant, et ce qui en ressort et forcément intéressant.
Quelles conclusions tirez-vous des nombreux concerts fait ces derniers mois ?
T: Qu’on progresse, et que ça nous fait évoluer dans des directions, ça nous donne des pistes pour bosser ! On ne se pose plus les mêmes questions qu’il y a un mois et demi ou deux mois. On voit que notre musique parle aux gens, on observe l’impact que Bagarre a sur eux en live.
E : Que les quinze heures de studio ça aide !
Quelles sont vos ambitions pour la suite ?
T : Faire un album !
LBF : Le stade de France !
E : L’Olympia !
T : On veut que tout marche bien, faire des grosses dates, faire du bon prosélytisme !
C : On veut créer l’attente !
LBF : Moi je veux faire du Balavoine, qu’un moment quelqu’un vienne me voir, et me dise « Ta musique je l’écoute quand je baise, quand je marche dans la rue, etc ».
T : Que ça accompagne la vie des gens, c’est comme ce que Brel disait sur l’aspirine : « Quand on invente, on est une aspirine pour les autres, le temps d’une chanson, le temps d’un film. Les gens ne pensent pas alors à tous les trucs qui les rongent. ».
LBF : La première chose qu’on veut, c’est vraiment que notre musique serve aux gens autant qu’elle m’a servi. Mais le vrai objectif reste vraiment la bière dans les loges et l’oseille (rires) !
Dans Profondeur de champs, nous parlons autant de musique que de littérature, de cinéma, d’histoire de l’art. Tirez-vous vos influences d’autres disciplines artistiques ?
A : Oui je trouve que notre musique est hyper cinématographique, on retrouve de vraies ambiances.
T : Que tu fasses passer ça par un roman, par un film ou une chanson, au final tu cherches juste à essayer de retranscrire une émotion, ou à transmettre des émotions. Un bon film qui t’émeut à la mort, une chanson aura le même objectif, c’est en ça qu’il y a une grosse parenté.
LBF : Après pour Querelle par exemple, une fois avec Cyril, un ami m’avait offert un livre de Jean Genet, Cyril était fan de Genet, il m’en a parlé, j’ai vu le film de Fassbinder, j’ai bloqué sur une scène, et ce morceau est presque un concept.
Retrouvez Bagarre sur Facebook, et le 15 mai à la Flèche d’Or pour leur release party.
Recueilli par Rémy Pousse-Vaillant