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Michaël Borremans, « As sweet as it gets »

Nul n’est prophète en son pays. Michaël Borremans, peintre gantois adulé des collectionneurs, peine à accéder à la reconnaissance du grand public en Belgique. Chez nous, outre-Quiévrain, l’artiste flamand n’est pas plus mainstream. La grande rétrospective, intitulée « As sweet as it gets », que lui consacre actuellement le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles devrait – au moins en partie – remédier à ce déficit de notoriété.

Michaël Borremans est né en 1963 à Grammont. Il a étudié la photographie à la Hogeschool voor Kunst en Wetenschappen Sint-Lucas de Gand. Ce n’est en fait qu’à l’âge de 33 ans qu’il se tourne vers la peinture, discipline qu’il jugeait jusque-là trop « difficile ». Borremans s’inspire des grands maîtres. Il cite Vélasquez – qu’il vénère –, Goya ou Manet. Il n’hésite d’ailleurs pas à réinterpréter leurs tableaux historiques.

Borremans 1

The Devil’s Dress (2011)  © Photographer Ron Amstutz

As sweet as it gets offre un large panorama de la production artistique de Michaël Borremans au cours de ces deux dernières décennies. Au travers d’une cinquantaine de peintures, d’une quarantaine de dessins ainsi que de cinq films, on pénètre dans l’univers intriguant et singulier de l’artiste belge. L’exposition, créée en coproduction avec le Dallas Museum of Art, prendra ensuite ses quartiers au Tel Aviv Museum of Art, avant de rejoindre le Texas en mars 2015.

La rétrospective du Palais des Beaux-Arts plonge le visiteur dans une atmosphère étrange, ambiguë. C’est que Michaël Borremans ne nous ménage pas. Il aime mélanger des éléments « très familiers, voire charmants », qui nous séduisent, nous attirent, avec quelque chose d’inquiétant. La beauté de ses portraits, peints avec une technique parfaite, est toujours contrebalancée par une mise en scène dérangeante, par un ornement qui fait peur. Et c’est bien ce conflit entre un sujet familier, presque banal et des détails troublants qui intéresse l’artiste flamand.

[caption id="attachment_8983" align="aligncenter" width="263"]Borremans 2 The Pendant (2010) © Photographer Peter Cox[/caption]

A Gand, Borremans possède un atelier d’hiver et un atelier d’été. Comme ses illustres aînés, il ne travaille qu’à la lumière naturelle. Son processus de création se décompose en plusieurs phases. Il y a d’abord les idées. Borremans confie en avoir « beaucoup » et les noter dans un grand cahier. Ensuite vient la construction de ces images. Le peintre fait appel soit à des amis – comme l’actrice et mannequin Hannelore Knuts pour The Angel –, soit à des modèles. Il les immortalise lors de séances photo ou va jusqu’à les filmer. Ce long et minutieux travail de préparation, de composition est primordial. En effet, Michaël Borremans ne se met à peindre que si ces photographies ou ces vidéos l’inspirent.

Chez Borremans, les personnages ont les yeux baissés, fermés, voire le dos tourné, comme pour éviter de regarder le monde tel qu’il est. Ici, pas une once de sang ni même de souffrance explicite. Mais on ressent constamment une certaine angoisse, un malaise sous-jacent. The Angel, immense toile de trois mètres de haut, montre une femme les bras ballants, vêtue d’une robe rose « à la Disney » et le visage entièrement peint en noir. Qui est-elle ? En route pour un carnaval sordide ou ange de la mort qui apporte avec lui malheur et peine ? L’homme de The Devil’s Dress est couché par terre seulement couvert d’un cône en carton rouge. Dort-il paisiblement ? Est-il mort ? De multiples interprétations sont possibles, et ne comptez pas sur Michaël Borremans pour lever le mystère.

[caption id="attachment_8982" align="aligncenter" width="263"]The Angel (2013)  © Photographer Dirk Pauwels The Angel (2013) © Photographer Dirk Pauwels[/caption]

Emilie Damour

Michaël Borremans – Exposition “As sweet as it gets” – Palais des Beaux-Arts de Bruxelles – jusqu’au 3 août 2014