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Ariane Charton : « J’aime transmettre les beaux textes »

Femme de lettres et de culture, Ariane Charton s’est penchée sur la vie et l’œuvre d’artistes des XIXe et XXe siècles comme Claude Debussy, Alfred de Musset et Alain-Fournier. Écrivain, biographe et auteur d’anthologies, elle prépare au Mercure de France un Goût de la Toscane.

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© Søphie Adriånseñ

Quelles ont été dans l’enfance vos premières émotions littéraires ?

L’émotion la plus vive a été en lisant Les Schtroumpfs et la Schtroumpfette, j’ai pleuré à la fin. Dans mon souvenir, c’est la première fois que je prenais une histoire aussi à cœur. Autrement, mes souvenirs de lecture d’enfance sont liés à des histoires plutôt drôles. J’étais attentive aussi aux illustrations des livres que j’aimais détailler, comme pour inventer une autre histoire.

Quand vous êtes arrivée à Paris, quelles ont été vos impressions sur cette ville ?

Pour moi, c’était une ville où les immeubles étaient hauts et où les gens gardaient leurs volets ouverts le soir, si bien que je pouvais voir l’intérieur des appartements. Cela me fascine toujours d’ailleurs. Là encore, je pense que cela me servait de base pour imaginer des histoires, des fragments de vie.

Y a-t-il des écrivains ou des maîtres à penser qui ont profondément influencé votre façon d’aborder le genre de la biographie ?

Même si mes biographies ne sont pas du même genre, j’admire les biographies de Zweig. Elles n’ont pas la rigueur des biographies monumentales avec tout un ensemble de notes. Zweig fait autre chose : des portraits psychologiques qui font comprendre le personnage dont il raconte la vie mais aussi l’époque. Même si parfois il fait des erreurs historiques, il a su saisir avec justesse l’âme de ses sujets. Ce n’est pas facile de concilier rigueur historique et analyses psychologiques car il entre toujours dans celles-ci une part de subjectivité. Et pourtant, le biographe doit aussi se faire psychologue, autrement, il n’intéressera pas ses lecteurs, il ne fera que livrer une somme d’informations brutes sur la vie de la personne. Il faut créer une certaine sympathie entre ses lecteurs et la personne dont on écrit la biographie.

Comme vous, j’ai un goût prononcé pour la recherche documentaire… Pourriez-vous nous décrire vos travaux préparatoires, avant de vous lancer dans l’écriture d’une biographie ?

Je lis d’abord et avant tout les documents d’époque : journaux intimes, correspondance, témoignages, presse. Je crois que c’est de cette façon qu’on comprend quelqu’un et son époque et qu’on revient aux origines. Bien sûr, j’utilise aussi des essais, des biographies mais plus ponctuellement et essentiellement pour des détails, des informations objectives.

Quel est le document d’écrivain ou d’artiste qui vous a le plus ému dans votre travail de recherche ?

Sans hésiter, la correspondance entre Jacques Rivière et Alain-Fournier (Gallimard). Je ne suis pas la première à dire que c’est un chef-d’œuvre. On suit ces jeunes gens jusqu’en 1914, pendant une dizaine d’années, on suit leur développement intellectuel, littéraire, leurs émois. Ce sont parfois comme deux journaux intimes qui se répondent. 1 200 pages passionnantes. Il existe en folio une anthologie de cette correspondance qui permet déjà de se faire une idée mais il faut la lire en entier.

[caption id="attachment_11154" align="aligncenter" width="411"]Alain-Fournier en 1905 Alain-Fournier en 1905[/caption]

Dans son discours de réception du prix Nobel, Patrick Modiano évoque sa relation intime avec la poésie, notamment à travers Les Cygnes sauvages à Coole (1917) de William Butler Yeats. De votre côté, quels sont les poèmes et les poètes qui ont laissé en vous un souvenir touchant ?

Il y a Musset bien sûr, à qui j’ai consacré une biographie. On cite toujours les mêmes poèmes pas forcément les meilleurs. Son étiquette de romantique le fait passer pour un poète fleur bleue. Or, sa poésie est beaucoup plus riche que cela. Il y a aussi beaucoup de poésie dans ses pièces de théâtre, des monologues ou des tirades qui sont sublimes, par exemple dans Fantasio. Musset est aussi un poète ironique, qui pratique l’autodérision comme dans son poème dialogué Dupont et Durand. D’autres poètes me touchent beaucoup comme Verlaine qui est souvent sous-évalué par rapport à Rimbaud.

Les grands hommes de culture que vous abordez dans votre œuvre de biographe, Alfred de Musset ou encore Claude Debussy, que penseraient-ils de notre XXIe siècle ?

Du mal, comme ils pensaient du mal de leur époque. Ils dénonceraient le règne de l’argent, de la rentabilité à tout prix même quand il est question d’art, de création.

Où se trouvent, selon vous, les derniers endroits romantiques à Paris ?

Des lieux où ont vécu des romantiques comme le quartier de la Nouvelle Athènes et le musée de la Vie romantique, la bibliothèque de l’Arsenal, la place des Vosges et le musée Hugo, la maison de Delacroix place Fürstenberg.

Je pense parfois à certains petits livres qui ont eu la force d’un océan dans ma vie de poète. J’ai depuis longtemps un souvenir ému de la lecture de Lenz de Georg Büchner. Avez-vous de la même façon été impressionné par un livre qui vous transporte encore et nourrit aujourd’hui votre vie de femme de lettres ?

Il me serait difficile de n’en citer qu’un. Il y a des livres qui m’ont marquée à certaines périodes de ma vie. Ils me nourrissent encore bien sûr. Par exemple, La Chartreuse de Parme, La femme abandonnée, court récit de Balzac et La Duchesse de Langeais, Fantasio et On ne badine pas avec l’amour… Dernièrement, j’ai lu Et la lumière fut de Jacques Lusseyran. Très beau livre dans le style et belle réflexion à se faire sur ce qu’est être aveugle et la façon dont on peut quand même encore voir.

[caption id="attachment_11155" align="alignleft" width="411"]Jacques Lusseyran Jacques Lusseyran[/caption]

Quels conseils donneriez-vous à un étudiant qui souhaiterait se lancer dans l’écriture ?

De beaucoup lire et de beaucoup écrire, d’écrire chaque jour même peu de temps en tenant un journal, en prenant des notes sur ce qu’il a observé dehors, en s’essayant au roman, à la poésie. Un de mes amis qui enseigne la création littéraire à l’université explique qu’il faut dix ans pour commencer à vraiment savoir écrire…

Pourriez-vous nous évoquer vos projets éditoriaux à venir…

Je prépare un Goût de la Toscane pour le Mercure de France. Une anthologie qui va me permettre de visiter cette région d’Italie à travers des écrivains et j’espère faire découvrir des textes à mes lecteurs ensuite. J’aime transmettre, partager les beaux textes et ce petit livre en sera encore l’occasion.

Retrouvez les chroniques littéraires d’Ariane Charton ici.

Propos recueillis par Nicolas Grenier