Tous les mois, la rubrique Création originale de Profondeur de champs vous présente le travail d’un(e) jeune artiste. Au tour d’Inès Coville aujourd’hui, et sa photographie des “corps fragmentés“.
Inès Coville est née en 1991 à Paris. Diplômée de Sciences Po et de la Sorbonne en Lettres modernes, elle est lauréate du Concours Nouvelles et Poésies de Sciences Po pour Vierge noire (2012). Elle a réalisé plusieurs courts métrages et étudié en 2011-2012 au sein du Film, Photography and Video Department au Hampshire College (Massachusetts, USA). Elle a présenté son travail photographique à La Grange aux Dîmes de Carrières sur Seine en 2013.
Quelle est ta première grande émotion photographique ?
C’est assez difficile de me souvenir de cela, à savoir de quand exactement mon intérêt pour la photographie a débuté.
Très jeune en fait. A dix ans, ma marraine m’a offert un appareil photo (je pense que je lui avais demandé). Après, c’est venu avec Internet en fait, et l’essor de sites de partage massif d’Å“uvres d’art sur internet comme Deviantart. Mais ma première émotion par rapport à des photographes connus, je dirais Robert Doisneau et ceux qu’on appelle « humanistes ».










Comment – et à partir de quand – est-ce que tu as commencé à faire de la photographie dans une démarche proprement artistique ?







A treize ans : j’ai eu une sorte de révélation en voyant tous ces jeunes du monde entier poster sur Deviantart ce qu’ils créaient visuellement (photographie et peinture principalement). C’était une forme de communauté, avec beaucoup d’émulation. Je me suis dit très nettement : « Je veux faire pareil », et j’ai acheté un appareil numérique dès que j’ai pu.










Qu’est-ce qui fait selon toi la singularité de cet art par rapport aux autres formes d’art ?
 Qu’est-ce qu’il te permet d’exprimer ?
Je ne pense pas qu’on puisse réellement hiérarchiser les formes artistiques, même si j’aurais tendance à mettre la musique au-dessus ou un peu à part d’autres formes, parce qu’elle est insaisissable, périssable. La photographie c’est une trace, même infime, de ce qui a été : elle intervient dans le saisissement d’une position du monde. Avec la subjectivité du photographe qui entre en jeu, bien sûr.
Personnellement, cela me permet d’exprimer l’ouverture et la curiosité que j’ai face à mon quotidien, d’à la fois saisir une émotion et la questionner.
Pour en venir à tes photos, ce qui est frappant c’est le double parti pris qui s’en dégage : une tension qui vient du fait qu’on ne sait si elles sont « posées » ou pas, et dans le même temps une focalisation sur des détails, des membres, des « parties » de différents « tout »…
Ta question en contient deux en fait : je réponds à la première déjà , sur la pose.
Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup avec le quotidien et ce qui « survient ». Disons qu’avant même de prendre la photo souvent je la vois qui flotte dans l’air. Alors il peut m’arriver de demander à quelqu’un de conserver sa position un instant si le sujet est une personne. Je peux parfois déplacer un objet, mais souvent c’est simplement pour dégager le champ. Je joue donc sur la tension entre l’instantané et la mise en scène.
D’autre part, le goût de la photographie reflète par nature le goût du détail : si on aime la photographie, on aime les détails, ça va avec. En même temps, les objectifs que j’utilise ne me dirigent pas non plus vers la macro photographie à proprement parler. Pour ce qui est des membres et des parties du corps, j’ai aussi fait une sélection, c’est simplement une des tendances que j’ai remarquées dans ma photographie et que j’ai voulu mettre en valeur là . J’aurais aussi pu choisir des photos de voyage et de paysage mais j’ai voulu montrer quelque chose de plus personnel.
 Je montre des corps fragmentés, des membres comme des entités. C’est venu spontanément et très tôt dans ce que je faisais (la photo des jambes qui marchent sur la pointe des pieds date de 2006), mais avec le temps je connais de plus en plus de travaux de photographes et j’arrive mieux à décrypter le langage photographique. Je vois mieux à quelle « famille » photographique je pourrais appartenir en ce qui concerne cet aspect du moins. Francesca Woodman et Lorna Simpson par exemple. Chez ces deux photographes je retrouve cette volonté, que je partage, de décaler le regard que l’on porte traditionnellement sur les corps et notamment sur les corps féminin, de dévier les attentes du spectateur et d’offrir autre chose.
Retrouvez les photographies d’Inès Coville ici – Toutes les photos sont © Inès Coville 








Propos recueillis par Paul Grunelius