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La Femme : “L’esprit indé, c’est de la merde”

Mai 2013 : Profondeur de champs est accrédité pour la première édition du This Is Not A Love Song Festival à Nîmes, nouveau rendez-vous incontournable de la musique indie en France. L’occasion pour nos rédacteurs envoyés sur place de rencontrer tour à tour Arnaud Rebotini, J.C. Satan, King Tuff et… La Femme. « La Femme ? », me demanderez-vous incrédule. Oui, nous avions depuis un peu moins d’un an une interview avec le groupe qui – de son psych rock tropical – survole de très loin la scène rock française au sens large. Nous partageons votre étonnement, mais la voici, enfin : après onze mois d’un va-et-vient continu entre corrections, relectures et contretemps, c’est donc assez amusés mais avec beaucoup d’émotion et de fierté que nous vous proposons cette rencontre avec Marlon, leader de La Femme.

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Il semble y avoir une continuité entre vos premiers EP puis votre album, tant au niveau musical que dans les thèmes. Vous racontez une histoire ?

Pas une histoire, mais plutôt des histoires qui se complètent, parfois volontairement, parfois moins. Beaucoup de connexions vont surtout se faire avec le deuxième album, il y aura des suites de morceaux etc (même si tout est assez vague pour le moment).

Comment se décide l’orientation musicale du groupe ?

Pour la musique on est vraiment deux à tout faire, donc ca va super vite : on est sur le même plan, on écoute les mêmes trucs, on aime les mêmes groupes Sacha et moi donc c’est très efficace.

Après en live vous avez ce côté résolument plus punk…

Oui, le côté punk vient de ma rencontre avec Nunez, Sam et notre batteur dans la scène punk : quand on avait 15 ans à Paris, on allait aux concerts punk mais on s’est progressivement détaché du milieu. Je suis parti dans un délire plus sixties, rockabilly.

D’ailleurs sur It’s Time To Wake Up, la voix anglaise au début me fait beaucoup penser à Lou Reed, au Velvet. C’était voulu ?

Je suis un grand fan du Velvet. J’ai d’ailleurs rencontré Lou Reed une fois à New-York, je lui ai passé notre premier vinyle : c’était à un concert qu’il faisait, c’était genre quarante euros la place et on était cinquante, un truc un peu sauvage. En fait il n’a pas dit un mot, il a fait du gros drone avec des machines, des trucs trop bizarres. Puis à la fin je lui ai donné l’EP : il l’a regardé, a esquissé une grimace, m’a regardé d’un air snob et l’a donné à sa manageuse. Puis il s’est barré. (Rires).

Tu as dit toi même que It’s Time To Wake Up te tenait à cÅ“ur. Quelle est l’origine de ce clip apocalyptique, avec cette fille borgne…

L’origine de la chanson c’est l’époque où tout le monde parlait du 21 décembre 2012, de l’apocalypse, c’était un thème fréquent que beaucoup d’artistes ont exploité. C’était très inspirant, et j’ai voulu faire un truc à la fois très et très peu explicite : ça se passe dans un monde où tout est fini, où il y a eu la guerre, et ces deux protagonistes veillent l’un sur l’autre, ils s’aident, ils survivent. Je voulais aussi que le truc soit super beau, contemplatif, avec de longs plans.

Sur scène vous attachez une certaine importance à l’esthétique, est-ce que vous vous seriez tentés par l’idée d’une sorte de Factory ?

Vaste question ! Là on cherche un 300 m2 pour faire une Factory et habiter ensemble, faire un studio de cinéma, un studio d’enregistrement. Même sur scène, si on avait vraiment les moyens, on ferait des trucs de fou. Dès nos premiers concerts à vrai dire, on faisait des projections vidéos. On a arrêté parce que ça devenait trop compliqué mais on reprendra ça. Et puis aussi maintenant tous les groupes ont un vidéo projecteur, et nous ce qu’on adore c’est se démarquer des autres groupes.

Mais pour l’instant on se dit juste « allez, vas-y ,on défonce tout, on se loupe et on recommence » et je préfère faire un truc dingue plus tard plutôt qu’un truc moyen maintenant. En fait, ça dépend des lives. A Paris par exemple, il y a vraiment une mise en scène : je me rappelle d’une fois où on avait entièrement décoré la salle, on avait mis des planètes un peu de toutes les couleurs, qui pendaient avec des fils en nylon, on avait fait des tableaux, des grandes banderoles partout dans la salle… Il y avait une magnifique atmosphère !

Toujours concernant l’esthétique, pourquoi avoir choisi L’Origine du Monde pour illustrer les covers des EP ?

Parce que c’était notre première sortie, et puis on s’est dit que ce serait le truc le mieux pour représenter le groupe. Imagine ça : on te parle d’un groupe appelé « La Femme », tu regardes et tu as un sexe de femme, c’est parfait non (rires) ?. C’est aussi un moyen de rendre hommage à Courbet, parce que c’est quand même un sacré artiste.

Vous avez fait paraître le vinyle sur Born Bad Records, et vous êtes les seuls du label à chanter en français. Vous vous sentez précurseurs sur ce point ?

Là tu touches un vaste débat. Déjà, je t’aurais plus suivi sur ce point de vue il y a deux ou trois  ans, quand on a vraiment commencé, mais aujourd’hui il y a de plus en plus de groupes qui chantent en français. Après c’est vrai qu’en terme de rock pur et dur, ça arrive moins… Tu as Mustang qui sont là depuis quatre ans, c’était les seuls qu’on connaissait quand on a commencé, et eux c’est vraiment cool. Après on l’a fait car on voulait se démarquer, et qu’on écoutait que de la musique française, qu’on était français.

Vous avez le souci de vous démarquer constamment. Du coup quelle est votre place sur la scène française ?

C’est vrai qu’on a du mal à se situer, parce que notre musique c’est notre propre truc et si on parle d’une scène, d’un mouvement, c’est qu’il viendra de nous, ça sera notre mouvement. C’est soit le notre, soit restera tout seul.

Les groupes dont on se sent le plus proche, ils ne sont malheureusement sont plus là. Après oui il y a certains groupes avec lesquels on est en phase comme les Growlers aux Etats-Unis, des groupes avec qui tu as des affinités, mais ça reste différent.

Les groupes qui nous ont inspirés viennent surtout de compils : les compils Bippp, les Jeunes Gens Modernes, on est tombé dessus dès qu’elles sont sorties en 2007-2008. On écoutait aussi des trucs comme Kraftwerk, mais on était déjà à fond dans les sixties françaises, et ça vient surtout de là la touche synthé. A l’époque où on a commencé à utiliser des synthés, il n’y en avait pas tant que cela qui le faisait. On sortait plus d’une vague britpop où c’était 100% guitare… Aujourd’hui, je crois qu’il y a carrément BB Brunes qui fait des trucs avec des synthés (rires).

Cette Factory dont on parlait tout à l’heure ne peut elle pas être le lancement d’un label ?


Oui carrément, on a déjà crée notre structure, elle peut servir de label. Après il faudrait qu’on produise d’autres groupes. C’est justement ce qu’on veut faire, inviter des artistes qu’on a rencontré sur notre chemin, faire un lieu où il y aura des rencontres, etc.

En parlant de rencontres, vous avez fait pas mal de tournées que ça soit en France, ou aux Etats-Unis…

J’ai regardé, je crois qu’on a fait autant de dates que Mylène Farmer (rires) ! On matait son site, elle en a fait 200 mais c’est parce qu’elle elle n’a pas bataillé. Elle fait que des gros zéniths et des Stade de France, et elle prépare vachement ses tournées en amont. Ça nous a fait marrer, mais c’est vrai qu’on a fait tout et n’importe quoi comme dates.

Comment le public a-t-il réagi dans des petites scènes extrêmement exigeantes comme en Californie ?

Super bien, comme en Allemagne, comme en Angleterre, comme en Suisse, comme dans les villes où on arrive, et où les gens ne nous connaissent pas au début. Je suppose que, comme moi, quand t’étais petit tu écoutais de la musique anglaise sans en comprendre les paroles, et pourtant tu aimais bien ! Ben là c’est pareil tu vois, le plus important c’est la vibe.

Quelle est pour toi l’importance du DIY ? Tu disais que tu faisais tout avec Sacha…

C’est une bonne question. Pour nous, le DIY c’est quand à un moment les gens ne vont pas se bouger pour toi et que tu te retrouves à te démerder tout seul, pour un résultat qui finalement te ressemblera plus parce que tu peux tout contrôler. C’est le cas de notre première tournée aux Etats-Unis par exemple : on n’a pas attendu que des gens nous proposent de jouer là-bas, on a envoyé les mails, on l’a fait nous même. C’est vachement cool, mais ça demande beaucoup, beaucoup de temps, et il y a un moment où il faut déléguer certains trucs.

Plus généralement, au départ quand on faisait nos maquettes sur Garage Band, les gens nous qualifiaient de Lo-Fi, alors que nous on s’en foutait, on ne voulait pas être Lo-Fi, c’est juste qu’on avait un son de merde parce qu’on enregistrait chez nous, mais si on avait pu et qu’on avait eu la thune on aurait clairement enregistré en studio. C’est la même chose pour la pochette de l’album : au départ on a essayé de le faire nous-mêmes, mais on n’a pas réussi à se mettre d’accord entre nous donc c’est Elzo Durt (ndlr : dessinateur qui fait les visuels du label Born Bad) qui a fait la cover. Plus que le DIY, ce qu’on veut à la fin c’est un truc qui défonce. Et si c’est un autre qui le fait, du moment que ça défonce et que ça correspond à La Femme et bien on s’en fout, et tant mieux si c’est quelqu’un d’autre qui l’a fait, ça nous fera gagner du temps et ça nous permettra d’accéder à d’autres projets car on en a plein, plein, plein.

Pour toi c’est quoi l’esprit indé ?


Pour moi, l’esprit indé c’est de la merde. On ne devrait même pas appeler ça « indé ». Après on ne va pas se voiler la face, c’est un mot qui qualifie c’est plusieurs degrés d’indépendance, mais pour moi aujourd’hui personne n’est vraiment indé. Ce terme est utilisé pour parler des trucs qui ne sont pas de la variété ultra-mainstream genre Star Academy. C’est un abus de langage, on ne devrait pas utiliser ce mot. Si tu étais vraiment indé, tu ne ferais que des concerts avec ton groupe électrogène dans des champs, tu ne passerais même pas dans le réseau officiel des salles, des festivals, et tu mettrais ta musique sur ton propre site internet sans passer par aucun réseau à part le tien.

Mais qui a envie de faire ça ? Tu seras obligé de bosser à côté, tu ne seras jamais connu. Si tu fais de la super musique, tu as quand même envie un jour que les gens te reconnaissent, qu’ils écoutent ta musique. Pour moi en fait ce soir (ndlr : au TINALS, festival où a lieu l’interview) on est tous des produits. Malgré le fait qu’on soit indé on est des produits, on vend notre date, on vend notre CD.

Le vinyle est sorti sur Born Bad Records. Est-ce que tu as attaches une certaine importance au support puisque tu le sors sous ce format ?

Le vinyle c’est beau, c’est la classe. C’est comme les groupes que tu as écouté, ils sortent en vinyle, ça te fait un vrai objet. Les trois-quarts des gens ne les écoutent même pas, j’en suis sûr. Ça sert à faire joli, mais au moins c’est un vrai truc, un vrai objet, il est gravé. Peut être que si tu l’enterres et que des gens le retrouvent ils pourront le réécouter alors que ta clé USB, elle, sera déjà périmée (rires) !

Et est-ce que t’as écouté d’autres groupes sortis sur Born Bad ?

Oui, j’en ai écouté quelques uns mais ça ne m’a pas spécialement emballé. Il y a des très bons groupes, comme Frustration, mais je n’aime pas trop le côté « anglais », ça me rebute. Dès que la voix rentre, je me dis « merde, il y a un truc qui va pas ». J’ai aussi écouté Cheveu récemment, et Wall of Death, le groupe psyché. En plus je connais super bien Adam le batteur, on est dans le même trip !

Mais ils sont tous super cool, ce sont des mecs biens et ça fait plaisir ! J’étais content de faire un truc avec Born Bad parce que pour moi c’est l’un des meilleurs labels en France, et même dans le monde ! Ils ont un vrai truc visuel. Même si je n’avais pas envie d’être à 100% chez Born Bad parce que j’ai mon propre truc, on a notre propre identité visuelle, on ne veut pas se cantonner à un réseau, à snober les trucs parce qu’on serait soi-disant « plus rock ». Mais ce sont tout simplement les meilleurs pour le vinyle, donc on fait le vinyle avec eux. C’est le meilleur alliage.

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Entretien réalisé en mai 2013 par Rémy Pousse-Vaillant au This Is Not A Love Song Festival et édité par Paul Grunelius