Le personnage d’Horace Slughorn, assez peu connu, ne tient qu’une place secondaire dans le roman de JK Rowling. Il est pourtant faux de considérer qu’il a été délaissé par l’auteure. Au-delà de son embonpoint notable, de sa calvitie et de sa passion pour la couleur lilas, qui reviennent dans quasiment toutes les descriptions, Slughorn est un personnage complexe que Rowling semble finalement apprécier.
Dès sa première apparition, il laisse le lecteur perplexe. Il est un des rares personnages à donner cette impression, et comme Harry, qui « ne savait pas très bien si Slughorn lui avait plu ou pas » (VI, 4), notre sentiment à son égard reste incertain après ce premier contact. Or la plupart du temps, Harry garde envers les gens l’impression de leur première rencontre – qu’il s’agisse de Rogue, de Malfoy, de Dumbledore – et les personnages tendent à se complexifier avec le temps. Ici, en revanche, Slughorn semble délicat à appréhender dès le début.
La relation que Slughorn entretient avec le pouvoir est particulièrement intéressante. Il n’est pas un personnage de premier plan, mais connaît un nombre important de personnes influentes, et ce dans tous les domaines : politiques, scientifiques, sportifs… Par son rôle auprès de ces personnes importantes ou talentueuses, qu’il contribue à mettre en relation – notamment lors des soirées du Club de Slug, ou lors de la soirée de Noël – il apparaît comme une sorte d’éminence grise, restant dans l’ombre du pouvoir. « Il n’a jamais voulu occuper le trône lui même » (VI, 4) affirme Dumbledore, et ceci s’explique parfaitement par son caractère : il parvient à assouvir ce désir d’ambition, caractéristique de Serpentard, sa maison d’origine, par sa présence auprès de personnes célèbres, tout en demeurant dans sa zone de confort, qu’il chérit plus que tout.
Slughorn est un personnage profondément intelligent et cultivé. Son registre de langage, surtout perceptible dans la version anglaise, reflète assez bien son éducation. Il emploie beaucoup d’expressions emphatiques, voire ampoulées, et pour certaines désuètes : « Merlin’s beard » (VI, 23) et « Good gracious » (VI, 17) sont assez peu usitées même dans le monde des sorciers, et des adjectifs tels que « vivacious » ou « marvellous » montrent bien le caractère soutenu de son langage.
Il fait preuve de beaucoup d’esprit, et lors de sa première rencontre avec Harry, il sait immédiatement que Dumbledore a amené ce dernier pour le convaincre de revenir à Poudlard : il ne cède pas à cette pression par ignorance de la volonté de Dumbledore, mais au contraire par faiblesse. Son regard fuit lorsqu’il voit Harry, car il sait qu’il va finir par céder, et c’est ce qui le rend contrarié et grincheux lors de cette rencontre, qui contraste avec la plupart de ses apparitions, où il est décrit comme jovial et enthousiaste. Il cède par son goût pour le confort et par le souvenir de sa vie à Poudlard.
Slughorn est en effet profondément nostalgique : le lecteur le ressent lorsqu’il évoque son souvenir des effets de la potion de Felix Felicis, « son regard se [perd] au loin. Qu’il joue la comédie ou pas, l’effet [est] réussi » (VI, 9), ou lorsqu’il se rappelle les billets de Quidditch offerts par Gwenog Jones des Harpies de Holyhead auxquels il ne peut plus assister depuis qu’il mène une vie nomade pour échapper aux mangemorts. Cette fuite montre d’ailleurs qu’il a tendance à faire confiance – au moins à Dumbledore, dont il est sûr du jugement. En effet, lorsqu’il rencontre Harry pour la première fois, il fuit depuis un an, or un an plus tôt, au début de L’Ordre du Phénix, personne ne croyait Harry et Dumbledore que Voldemort était de retour. A son retour à Poudlard, sa nostalgie se matérialise par sa volonté de recréer le « Club de Slug », grâce auquel il entretient – et a entretenu à l’époque de Tom Jedusor – une relation particulière avec ses élèves.
Ceci amène une nouvelle considération : le professeur Slughorn est, à bien des égards, un personnage profondément dérangeant, et surtout difficile à cerner. Outre ses propos maladroits sur les nés-moldus, qui lors de sa rencontre avec Harry mettent ce dernier mal à l’aise, d’autres éléments indiquent qu’il ne se comporte pas tout à fait comme un professeur « normal ».
Le club de Slug, qui en anglais (Slug club) signifie littéralement club des limaces, et les faveurs que Slughorn accorde à certains de ses élèves font ressortir ses défauts : il peut être extrêmement partial, et est dans tous les cas motivé par l’intérêt personnel. En dépassant le premier degré, on se rend compte que Slughorn voue une véritable passion à ses petites réunions, et aux jeunes qui l’entourent lors de ses dîners et qu’il cherche à « collecter ».
A l’époque de Jedusor, ces réunions prenaient une forme assez spéciale, regroupant « une demi-douzaine d’élèves, des garçons âgés de quinze à seize ans » (VI, 17) qui gravitent autour de Slughorn et de Jedusor, décrit par Harry comme « le plus beau ». L’ambiance de ces soirées, centrées notamment sur la personnalité charismatique et séductrice de Jedusor, et sur l’admiration que lui vouent ses camarades – et Slughorn – indique au lecteur qu’elles n’ont pas forcément lieu d’être, et manifeste une certaine transgression de l’interdit.
Lorsque Jedusor parvient à s’isoler avec Slughorn pour l’interroger au sujet des horcruxes, ce dernier « savait parfaitement qu’il ne pouvait s’agir d’un devoir » (VI, 23), mais, aveuglé et gêné à la fois, tel un « vieil éléphant importuné par des moustiques » (VI, 23), il lui fournit tout de même les renseignements permettant à Voldemort d’aller « plus loin que quiconque sur le chemin qui mène à l’immortalité » (IV, 33). Dans tous les cas, la discussion finale entre Slughorn et Jedusor, seul à seul, prend des airs d’explication de la sexualité à un adolescent : « Il est tout naturel d’éprouver de la curiosité pour un tel sujet… » (VI, 17) lui affirme Slughorn. La phrase qui suit est dans la version anglaise relativement connotée : « Wizards of a certain calibre have always been drawn to that aspect of magic »…
La proximité de Slughorn avec ses élèves préférés, ses mignons – terme qui à l’origine avait le sens de favori, sans connotation sexuelle – rend la comparaison entre Slughorn et un pédophile, ou plus exactement un éphébophile, assez facile diront certains. Mais l’hypothèse de l’éphébophilie de Slughorn mérite à mes yeux d’être poussée, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, JK Rowling a déclaré lors d’une interview en 2000 en parlant de Lolita qu’« il n’y a juste pas assez de mots pour expliquer comment une intrigue qui aurait pu être une des pornographies les plus affreuses est devenue, dans les mains de Nabokov, une grande et tragique histoire d’amour ». Elle a donc vraisemblablement apprécié ce roman. Or suite à la scène où Dumbledore décrit le caractère de Slughorn à Harry, ce dernier « eut soudain la vision saisissante d’une grosse araignée qui tissait sa toile autour d’elle, secouant un fil ici ou là pour rapprocher ses grosses mouches bien juteuses » (VI, 4). Cette phrase, bien qu’occupant un paragraphe à elle seule, aurait pu passer inaperçue si elle n’avait pas été aussi proche d’une autre, extraite de Lolita (Première partie, chapitre 11) : « Je ressemble à l’une de ces pâles araignées tuméfiées que l’on voit dans les jardins anciens. Je suis assis au milieu d’une toile lumineuse et tire d’un petit coup sec sur tel ou tel fil. En l’occurrence, ma toile est tendue partout à travers la maison, et j’écoute, assis dans mon fauteuil tel un sorcier rusé. ». La « grosse araignée » de Rowling fait écho aux « araignées tuméfiées » ; la toile et les fils sont à rapprocher dans les deux textes, et le « sorcier » évoqué par Nabokov montre que le lien entre Humbert Humbert de Lolita et Slughorn ne peut être une simple coïncidence.
Enfin, si « Harry [est] celui qu’il attendait avec le plus d’impatience » car il manque à sa collection, l’attachement de Slughorn envers Harry ne passe pas uniquement par sa célébrité, mais également par la mère de Harry, Lily, que Slughorn mentionne de façon récurrente, plusieurs fois par cours dans certains cas. Harry, lorsqu’il cherche à collecter le souvenir de Slughorn sur Tom Jedusor, parvient d’ailleurs à manipuler Slughorn en invoquant Lily : « Vous l’aimiez beaucoup, n’est ce pas ? » (VI, 22) lance-t-il à Slughorn, alors que ce dernier a les yeux larmoyants. Slughorn semble connaître les effets de l’amour obsessionnel, comme il l’affirme à ses élèves lors de son premier cours : « Quand vous aurez autant que moi l’expérience de la vie, vous ne sous-estimerez pas le pouvoir de l’amour obsessionnel… » (VI, 9). Quelle qu’ait pu être la nature des sentiments de Slughorn envers son élève, Lily Evans, il parvient à se racheter de son implication dans l’immortalité de Voldemort en contribuant à sa chute, en laissant son souvenir à Harry pour l’amour qu’il portait à sa mère, un peu à la manière de Rogue qui rejoint Dumbledore et l’ordre du Phénix par amour pour Lily.
Slughorn regrette profondément l’erreur qu’il a commise, par abus de confiance ou par aveuglement d’admiration. A première vue, il a plutôt tendance à privilégier la facilité à la vérité ; il représente à la fois les atouts et les défauts de la maison Serpentard. Mais ceci s’explique par une certaine faiblesse, qui n’empêche pas Rowling de lui offrir la possibilité de laisser une image finale positive au lecteur, qui se souvient de lui comme s’étant rangé du côté de l’ordre du Phénix lors de la bataille de Poudlard. Slughorn fait donc partie de ces personnages, à l’instar de Rogue, de Regulus Arcturus Black, dit « RAB », ou de Phineas Nigelus, qui redorent l’image de la maison Serpentard, montrant que celle-ci ne cultive pas seulement des défauts.
Il ne faut dès lors pas céder à la tentation de voir en Slughorn un simple pervers pédophile : c’est un personnage complexe qui, bien qu’assez faible, honteux de son passé, et ayant une certaine attirance pour les adolescents – qui pour la plupart gravitent autour de la majorité dans le monde des sorciers, dix-sept ans – finit par faire les bons choix, montrant ce qu’il est réellement.
Antoine Stéphany
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Un article passionnant.